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Le Grill a aiméLe Grill a aimé avec réserves

The Wall vs Free Fire

The Wall vs Free Fire

 

Deux sorties à une semaine d’intervalle, pas vraiment des films familiaux, dont l’action se déroule quasiment en temps réel, avec une unité de lieu forte (une usine désaffectée et un chantier), d’une durée de quatre-vingt-dix minutes, des petits budgets (7 et 3 millions de dollars) pour des résultats pas terribles au box-office mais visant un montage au cordeau pour tenir en haleine le spectateur venu voir une idée simple : qui arrivera à tirer sur le mec en face. Ça valait bien un petit face à face pour savoir qui s’en sort le mieux de l’anglais Ben Weathley ou de l’américain Doug Liman.

 

Les réalisateurs :

« Messieurs les anglais, tirez les premiers. »

Ben Weathley est un scénariste/réalisateur/monteur britannique qui s’est principalement fait connaître avec son deuxième film, Kill List. Adepte du mélange des genres avec un gout marqué pour la comédie noire et l’horreur, il a plus ou moins raté sa domination mondiale avec le baroque High Rise en 2015 mettant en vedette Tom Hiddleston. Un échec commercial relatif qui n’a su trouver son public mais qui n’en reste pas moins son meilleur film à ce jour. Son style est reconnaissable, de sa fascination pour le jaune et les tons pastel, ses goûts musicaux et vestimentaires marqués par les années soixante, soixante-dix, et sa fascination pour des personnages et situations non manichéennes, jamais tout blanc ou noir, en fait un des auteurs actuels les plus intriguant même si on commence à attendre son chef-d’œuvre qui mettra tout le monde d’accord.

Un petit côté arrivée au Nakatomi Plaza de Die Hard.

Doug Liman est presque son exact opposé. Réalisateur au style caméléon, pour ne pas dire insipide, il nous avait quand même soufflé avec Edge of Tomorrow en 2014 qui sans être une révolution, mettait un sacré coup de fouet au film de guerre mêlé de science-fiction (chroniqué aussi), belle revanche face au pétard mouillé Jumper qu’il avait tenté de lancer en 2008. Visiblement capable de passer d’un budget de 178 millions de dollars à trois millions, l’homme s’est débarrassé de son étiquette de yes-men (= réalisateur sans âme qui tourne ce qu’on lui dit de tourner) en choisissant avec soin ses projets et ses acteurs. Si Ben Wheatley a commencé par de l’indépendant complet et radical pour aller (un peu) vers du grand public, Doug Liman a débuté par du très grand public pour aller vers des projets plus petits. Si à l’image, il n’y a rien qui fasse dire « ça c’est du Doug Liman », l’homme commence à se faire respecter dans le genre des séries B d’action pas trop débiles.

John Cena en tenue de camouflage, presque ironique vu qu’il a sorti un album titré “you can’t see me”.

La mise en scène, l’image :

Free Fire se passe dans un entrepôt désaffecté, la première demi-heure présente efficacement tous ses personnages au fur et à mesure qu’ils investissent l’endroit. Classique mais efficace, le film réussit à rester lisible malgré sa dizaine de personnages se canardant depuis tous les coins. La manière de filmer ultra-réaliste de Wheatney qui semble laisser une belle part à l’improvisation de répliques, comme dans tous les films qu’il a scénarisés lui-même, renforce l’immersion dans ce récit. Reste qu’à présenter des personnages en concours permanent de qui sera le plus gros enfoiré, on ne ressent pas grand-chose quand l’un d’eux succombe à ses blessures. Ben Wheatley semble prendre le contre-pied d’High Rise aux couleurs vives et aux plans touchant à l’expérimental et l’onirique en ne dérogeant pas au réalisme pour Free Fire. Un rétropédalage pas forcement inintéressant mais qui manque de punch quand on a un déplacement de la caméra au ras du sol qui se répète à chaque fois que l’on veut nous faire comprendre que nos héros son derrière un pilier. L’image, sombre et granuleuse, a de la matière mais ne suffit pas à fasciner d’autant que les plus beaux cadrages arrivent dans la scène finale. Une trop grande sobriété, d’autant plus que quitte faire un film tarantinesque, il aurait pu y mettre un peu de musique. Les morceaux sont bien mais rares et l’on regrette qu’il ne collabore pas de nouveau avec Jim Williams comme pour ses trois premiers films.

Passant alternativement de héros à salaud en quelques instants, le traitement de ses personnages est le point fort du film.

Doug Liman et son propos ultra minimaliste, deux snipers observent un chantier en plein désert qui s’est fait attaquer, a compris que dans son épure chaque élément compte. L’immense pipeline inachevé courant jusqu’à l’horizon rappelle les raisons de la guerre en Irak sans l’évoquer directement et le mur donnant son titre au film, s’écroulant au fur et à mesure des échanges de tirs, à même toute une histoire. Aucun élément n’est laissé au hasard et la maîtrise formelle impressionne. Sa durée de quatre-vingts minutes est tout à son honneur car il s’épargne des longueurs et réussit même l’exploit de s’arrêter au moment où l’on voudrait en voir plus. Au niveau de l’image, on retrouve un parti pris un peu à la Billy Lynn, s’il ne va pas craquer comme Ang Lee pour du 4K Imax 3D, le conflit a un aspect propre avec une image nette aux couleurs tranchées (ciel parfaitement bleu, couleurs vives qui contrastent avec les uniformes beiges). Il s’inscrit dans une tendance de représenter le conflit en Irak de manière assez dépouillé, loin de l’image crasseuse et saturée des films sur le Vietnam par exemple ; je dirais que c’est Jarhead en 2006 qui a lancé cette iconographie, voire peut être les Rois du Desert même s’il c’était pas remis de M.A.S.H. bref je digresse.  La musique peut être qualifiée de fonctionnelle, sans thème mémorable, elle se contente de souligner l’action et c’est déjà pas si mal en fait.

The Wall se passe en Irak mais a été tourné à côté de de Los Angeles. L’illusion est parfaite.

 

Jugé sur la réalisation pure, Ben Weathley gagne malgré des baisses de rythme et des répétitions. Surtout car The Wall ne marque pas par sa mise en scène, préférant avant tout servir l’histoire que de chercher à faire des plans marquants.

 

Les acteurs :

Free Fire fait la part belle à son casting dès l’affiche, de l’oscarisée Brie Larson au second couteau comme Michael Smiley avec qui il collabore pour la quatrième fois, Ben Weathley a su s’entourer d’acteurs charismatiques capables de donner une sacrée épaisseur à leurs personnages de loubards. Du terroriste irlandais à l’arnaqueur bellâtre en passant par les armoires à glace mutique, chacun a son caractère et son background qui rend crédible cette histoire de trafic qui dégénère. Après on n’a pas non plus les performances de l’année, la faute à un récit trop linéaire ne laissant pas de place à des dialogues bien badass comme ceux qui peuplent Reservoir Dogs par exemple dont l’ombre plane sur tour le film, mais on va y revenir.

Le film se détache beaucoup du Tarantino mais c’est pas en caractérisant ses personnages par une couleur qu’il va nous le faire comprendre…

Plus modeste avec ses deux acteurs et demi, The Wall compte John Cena, le catcheur hyper populaire aux USA dont tout le monde se fout un peu dans l’hexagone si ce n’est pour un meme internet d’il y a deux ans, qui donne quand même une véritable chance à sa carrière ciné en jouant tout simplement bien. Militaire crédible, immédiatement sympathique par des échanges virils au ton juste, on n’est pas devant la composition de l’année mais ça fait le café avec brio. Aaron Taylor-Johnson par contre, le gamin de Kick-Ass mal reconverti en action-man (Godzilla, Avengers 2), confirme avec Nocturnal Animals qu’il n’est vraiment pas mauvais avec ce rôle de soldat à l’écriture inhabituelle puisque antihéroïque, rappelant le très bon Buried.

Les deux films ont fait de sacré efforts de réalisme, The Wall en ayant de nombreux conseillers militaire, Free Fire en se reposant peu sur le numérique et en se fondant sur des rapports de police à propos de fusillades. L’époque des übermen fonçant avec un flingue à balles infinies qui ne s’enraye jamais semble terminé.

Dur à départager, d’un côté deux performances ultra-solides qui tiennent le film et de l’autre une douzaine de rôles qui sonnent juste mais qui manquent de génie que pour vraiment marquer.

 

Le scénario :

Free Fire présente plusieurs groupes de personnages, aussi fiables et flegmatiques qu’une centrale nucléaire de l’époque communiste, à tel point que l’on s’étonne qu’il ne fasse pas jouer la poudre avant la trentième minute. S’ensuit une série d’impasses mexicaines où l’on se vanne au fur et à mesure des alliances et des hémorragies. Il n’y a pas de scénario ou de mystère à proprement parler mais un point de départ en constante évolution. C’est pas mal car jusque-là, que ce soit dans Kill List, The Tourist ou High Rise, ses films avaient toujours une progression par niveau (un assassin va de victime en victime, un road movie où l’on enchaîne les rencontres, l’ascension sociale du héros se fait étage par étage d’un étrange immeuble) alors qu’ici il tend au film choral. On note cependant vite qu’il tourne un peu en rond, son inspiration avouée d’une partie de jeux vidéo en ligne où chacun joue pour sa pomme avec des coéquipiers plus ou moins imposés par le hasard a ses qualités mais montre vite ses limites. Contrairement à Reservoir Dogs, on n’a pas de flash-back ou de narration alternée pour nous montrer autre chose que les échanges de tirs. Après ce n’est pas parce que l’ainé est mieux que Free Fire n’a pas de légitimité, d’autant plus que le premier long de QT est fortement inspiré du film hongkongais City on Fire de 1987 (beaucoup de Fire là-dedans, simple coïncidence ?) mais entre son introduction et son final, Free Fire peine à se renouveler ou à proposer de l’inédit. On regarde sans déplaisir ce long gunfight où chacun roule avant tout pour sa pomme mais on aurait aimé en voir plus, dans les combats (The Raid ou Dredd est mieux dans le genre gens coincés quelques parts) ou les idées (car isolation + gunfight t’as aussi assaut sur le central 13 qui est assez inégalable), voire que Ben se rappelle que l’on aime bien son humour avant le dernier quart d’heure.

Brie Larson est passée de Crazy Amy à Room à Kong à Free Fire… Quoique John Cena aussi est passé de Crazy Amy à The Wall.

The Wall est un film de sniper, comme American Sniper mais surtout comme le dernier segment de Stalingrad de Jean-Jacques Annaud avec lequel il partage un grand personnage de méchant froid et calculateur. Le scénariste Dwain Worrell, un inconnu que l’on apperçoit ici pour la première fois au générique, avait vu The Wall figurer dans la fameuse Black List d’Hollywood censée regrouper les scénarios les plus prometteurs (après Passengers y était aussi alors qu’il est à peu près aussi original qu’un film américain expliquant combien leurs soldats sont tristes d’aller faire la guerre… attend on va reprendre). Ce méchant, un sniper taliban aussi doué qu’impitoyable, est une vraie réussite. Profitant à fond du hors champs et de la peur de ne savoir où il se cache, une vraie tension s’installe face à ce danger inconnu. Mais là où le film obtient ce petit plus qui le fait passer du divertissement correct à la vraie bonne surprise, c’est dans son côté sulfureux attaché au traitement de ses personnages. Si Aaron Taylor-Johnson apparaît au début comme un héros assez classique, il va peu à peu se révéler négligent, désordonné, un peu faux et sans vraie raison de se battre alors que son adversaire prend peu à peu possession du film à mesure que ses motivations et ses objectifs se dévoilent. Un renversement de valeur qui sans prendre l’aspect d’un twist gratuit dans les cinq dernières minutes, en fait un des films de guerre les plus malins de ces derniers temps.

Et nous avons un gagnant ! Heureusement que le film est un peu plus inventif que son affiche générique.

Victoire par KO pour the Wall, Free Fire, trop réaliste et pas assez fun que pour être un bon morceau de cinéma grindhouse mais pas assez réaliste et trop insouciant que pour être un vrai thriller bien noir s’écrase devant la tension proposée par The Wall, moins fringant mais bien plus radical dans ses choix et efficace dans son exécution.

 

En conclusion, ces deux films passés un peu inaperçus à l’ombre du mastodonte Wonder Woman sont d’excellentes surprises pour les cinéphiles. Si The Wall à ma préférence, il n’en reste pas moins qu’ils ouvrent un été remplis de ces films faits par des réalisateurs qui ont de la suite dans les idées tout en n’oubliant pas d’être avant tout des faiseurs de bons divertissements.

Bref, hâte de voir Bad Batch moi.