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Le Grill a aimé avec réserves

Bienvenue à Suburbicon

(Sur)vie de quartier

 

George Clooney a récemment décidé de ralentir fortement, si ce n’est arrêter, sa carrière d’acteur car, dit-il, à 56 ans, il estime que les rôles de fringants séducteurs ne sont plus pour lui. S’il demeure un sérieux prétendant au titre de l’homme le plus classe du monde, même lui n’a pas le droit de résumer sa carrière à une simple accumulation de rôles de playboys. Les Chèvres du pentagone, les rois du désert, ses collaborations avec les Coen dont on peut citer un dernier rôle bien mordant et méta dans Ave Cesar, ont tous prouvé que le George est aussi sacrément doué pour la satire d’une certaine vision de l’Amérique. En fait, c’est même là qu’il est le meilleur, son avant-dernière réalisation « Monument Men », tentative de film de guerre premier degré s’est plantée dans les grandes largeurs alors que l’essai 2017 avec la comédie noire grinçante Bienvenue à Suburbicon se révèle bien plus agréable.

Matt Damon sort complétement de son registre habituel pour livrer une sorte de Terminator sauce Pixar.

Clooney voulait initialement revenir sur un fait divers relaté dans le documentaire « Crisis in Levittown » : en 1957, dans la banlieue la plus blanche et chrétienne du monde, s’est installée une famille de noirs et ça a mis moins de 24h pour tourner à l’émeute. Ne parvenant pas à étaler le propos pour en faire un film, il a mis le crime raciste en toile de fond d’un scénario abandonné par les frères Coen où une famille parfaite en apparence monte une scabreuse arnaque qui par une série de malchances conjuguée à la crétinerie de ses auteurs va se retourner contre nos personnages. En soi, ce n’est pas une mauvaise idée, le scénario plutôt bien construit (Coen oblige) permet au casting ultra-solide de dresser un portrait au vitriol de cette Amérique propre sur elle jusqu’à ce que l’on gratte un peu, on retiendra surtout le duo Matt Damon en bon père de famille sociopathe et une Julianne Moore toujours aussi jouissive dans des rôles de méchantes (Kingsman 2, Map to the star). La mise en scène aussi à ses moments, les décors extrêmement fouillés dans une volonté de reconstruire les fifties donnent l’impression de sortir tout droit de la brochure publicitaire rétro qui ouvre le film. On assiste à un jeu de massacre dans une maison de poupée qui touche sur certains plans aux vignettes maniaques d’un Wes Anderson. La violence faisant d’ailleurs plus que flirter avec le gore, plutôt une surprise sur ce point, au-delà même de ce à quoi les Coen nous avait habitués.

Les deux histoires ont un tempo tout à fait différent, la réaction raciste du quartier est extrêmement rapide et expansive alors que le thriller développé à côté est beaucoup plus tordu.

Le vrai problème de ce sous-Coen mais sur-Clooney est que le mélange des deux propos, la dénonciation de la mentalité raciste et la famille idéale qui se révèle pourrie jusqu’à la moelle, fait plus doublon que complément : les deux histoires se bornent à dénoncer une certaine forme d’hypocrisie sans vraiment se répondre. Un côté lourdaud pas aidé par la mise en scène efficace mais peu imaginative. Le propos manque clairement de finesse dans sa présentation et son développement de même que beaucoup de retournements de situation sont téléphonés une bonne dizaine de minutes en avance. On remarque aussi quelques idées laissées de côté comme la gémellité des personnages joués par Julianne Moore, la sous-exploitation absolue d’Oscar Isaac en petit truand ou encore le choix pas spécialement pertinent ou alors pas assez poussé d’assister au récit en suivant le point de vue d’un garçon de dix ans (Noah Jupe, plutôt convaincant). Pour autant, le film n’est pas mauvais, son cynisme assez radical et surprenant pour un type comme Clooney (on se demande limite s’il n’a pas été nostalgique d’Une nuit en enfer en cours de tournage) en fait une comédie noire qui vaut le coup d’œil, dommage qu’il se détache si peu de l’esprit des Coen dont en sent l’empreinte absolument partout.

On pense à Fargo des Coen mais aussi à Sérial Mother de John Waters, Suburbicon veut s’inscrire dans une suite de récits impertinents sur l’âge d’or de la classe moyenne américaine.

Bienvenue à Suburbicon

  • Est
  • N'est pas
  • Une comédie noire plutôt plaisante
  • La pire des réalisations de George Clooney, elle est même dans le haut du classement
  • Deux récits pour le prix d’un qui peinent à se répondre
  • Novateur dans son propos ou sa mise en scène parfois fade
  • Doté d’un jeu impeccable de Juliane Moore et de Matt Damon en dehors de sa zone de confort
  • Un film qui ne comptait pas pour son créateur, Clooney s’est investi dans le projet
  • Complètement dans l’esprit des frères Coen, presque trop
  • Qu’une comédie, le propos est acerbe et la violence plutôt graphique
George et ses potes font un film / 20