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Les bonnes manières

Film monstre

 

Prix du jury et de la critique à Gérardmer, plus ou moins plébiscité dans chaque festival où il a été présenté, on espérait raisonnablement que les bonnes manières soit un film correct, voire un truc bien. Alors forcément quand on s’est pris à froid un chef-d’œuvre de ce calibre en plein dans la rétine, on a été quelque peu sonné tout en se demandant comment on avait fait pour ne pas repérer avant cette pépite qui n’a pas grand-chose à envier aux très grandes œuvres auxquelles elle se frotte.

On tient probablement là le meilleur film que vous n’aurez pas le temps d’aller voir au cinéma cette année.

Faut dire que Les bonnes manières est poli et long, un beau film fleuve de 2h15 que l’on a pourtant presque du mal à lâcher. Poli car il commence timidement avant de prendre son envol. Dans une cabine téléphonique, une jeune femme cherche un boulot de nounou dans les quartiers huppés de São Paulo, elle sera embauchée par Clara, une femme enceinte. Rien qui ne semble annoncer de près ou de loin au conte de fée fantastico-horrifique plein de mordant que cette séquence ouvre pour se finir dans une apothéose bien capable de mettre la larme à l’œil. Dans l’intervalle, deux récits d’un peu plus d’une heure chacun se suivront. Le premier fait penser à un Rosemary’s Baby pop et amateur d’aérobic avec une touche de Jacques Tourneur, le second prend la forme d’une réflexion sur l’enfance et l’éducation qui n’est pas sans rappeler Ane et Yuki les enfants loups (grand et beau film d’animation de Mamoru Hosoda), le tout alternant de scènes en scènes poésie urbaine, romance chamarrée, saillie d’horreur gore, comédie musicale, séquences oniriques et réflexions sociales bien senties. Un tissage des genres qui ne déboulonnera pas les amateurs de cinéma asiatique par exemple (Willard évoquait, non sans raison, Sono Sion et surtout son sublime patchwork de 4h : Love Exposure) mais qui demandera peut être un temps d’adaptation à certains tant ce film tend à changer de registre presque à chaque plan pour un résultat restant toutefois admirablement cohérent.

Le plan ouvrant le film n’annonce donc rien de particulier, d’autant plus qu’il est visuellement assez fade, Isabél Zuaa (Clara, notre héroïne) appelle depuis une cabine téléphonique : cadrage serré et couleurs ternes, à sept lieux de l’enchantement qui suivra. De l’appartement d’Anna (Marjorie Estiano) tout en bleu, peut-être pour contraster le rouge qui ne manquera pas apparaître, à des rues pluvieuses avec la ville en fond comme un château de conte de fée, le film déroule des compositions léchées pour enchanter le quotidien. Les réalisateurs parlent de Disney comme source d’inspiration, et c’est vrai que l’emploi peu discret mais jamais kitsch du matte painting, c’est-à-dire des arrières plans peints pour offrir ici des visions baroques éclairées de pleines lunes immenses, où même l’insertion d’une séquence illustrée fait beaucoup pour classer les bonnes manières dans la lignée des descendants intelligents de Charles Perrault ou d’Ovide. Le générique, comme diffusé sur un mur de béton décoré comme une couverture de vieux livre, annonce la couleur.

La ville en fond est peinte par exemple, ce plan fait d’ailleurs partie des quelques-uns que le film aime à répéter pour situer les lieux et segmenter le récit.

Enfin une des forces du film, le distinguant de la forme de l’eau, où là aussi la présence du fantastique permet de présenter la vision d’un auteur sur la société, est que si dans le Del Toro toute l’histoire tourne autour de la créature qui en est le point central, ici au contraire c’est le thème du double et de l’opposition qui est exploré : nos deux héroïnes viennent de milieux différents, la ville elle-même est coupée en deux entre quartier populaire et centre-ville opulent, les couleurs sont contrastées, l’horreur est immédiatement succédé par une séquence beaucoup plus légère, la vie et la mort se chevauchent… Pas étonnant que le film soit un diptyque où chaque partie a deux personnages principaux, même si cela implique un léger regret d’abandonner sa première partie et un petit creux de l’attention le temps de rentrer dans le second récit.

Au final, les bonnes manières à tout pour lui, de grandes idées de réalisation, un scénario en or, des thèmes traité avec soin, une sincère dose d’originalité et un cadre (São Paulo) qui a rarement été exploité avec autant de justesse, et encore moins dans un récit fantastique de cette trempe.

Spoiler : Pourquoi le loup-garou ?
Si bien sûr ce monstre est une métaphore de la schizophrénie, ou a minima, de la « bête » qui dort en chacun, il est aussi au brésil une créature typique des légendes de la campagne, d’où l’intérêt de faire du loup garou dans une grande ville, ce qui revient à confronter une tradition du folklore à la modernité, histoire de traiter une opposition de plus.

Les bonnes manières

  • Est
  • N'est pas
  • Une sacré surprise, visuellement splendide
  • Court et du genre à aller droit au but
  • Un film en deux parties
  • Sans quelques scènes gores, même si là n'est pas l’essentiel
  • Un récit fleuve qui change souvent de ton
  • Assez reconnu pour ce qu'il est
  • Joué avec brio par ses deux actrices
  • Classique, il risque de secouer le spectateur
Oeuvre majeure / 20