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First Man : Le Premier Homme Sur La Lune

Odyssée cathartique

« First Man » est la première œuvre de commande de Damien Chazelle. Dans cette position particulière, le réalisateur américain aurait pu jouer les « Yes Man » de circonstance et se contenter de livrer un biopic académique bien lisse afin de rafler quelques oscars en fin de course. Sauf que non, First Man est bien plus que ça.

Le film est l’adaptation d’une biographie officielle signée par James R. Hansen. Ce serait d’ailleurs au moment où ce dernier a été rattaché en tant que co-producteur du film que Neil Armstrong aurait donné son feu vert pour la mise en chantier du projet.

Il faut dire que l’angle d’attaque est intéressant. Au lieu de livrer un récit hagiographique sur la vie de Neil Armstrong, Damien Chazelle et Josh Singer prennent le parti pris couillu d’aborder l’expédition qui a rendu célèbre ce héros de la Nasa par le prisme de la tragédie grecque. Ainsi, ils vont montrer à quel point la mission Apollo 11 malgré sa réussite a été un nid à problèmes. Des prototypes foireux, une partie de l’opinion publique mécontente mais surtout des morts en cascade, les deux auteurs ne vont rien nous épargner des difficultés qu’a connues cet exploit spatial. Ici, le choix de raconter cette histoire au travers des yeux d’Armstrong est d’autant plus justifiable car outre le fait qu’il ait été le premier homme à avoir foulé le sol lunaire, c’est sûrement celui qui a le plus morflé dans l’affaire. Ce héros brisé par les affres de la vie va utiliser cette quête comme moyen cathartique pour exorciser ses peines et démons. Ses douleurs intimes et la sensation de danger permanent sur sa personne priment souvent sur l’aspect épique de cette aventure humaine. Si je reconnais que certains spectateurs vont se retrouver désarçonnés par cette approche, il est difficile de ne pas avouer que c’est une sacrée bonne idée.

D’autant plus que dans le rôle de l’astronaute meurtri, Ryan Gosling trouve ici l’une de ses meilleures partitions. Tout en intériorité, l’acteur américain arrive à faire ressortir toute la dualité du caractère de Neil Armstrong. Travailleur obsessionnel et déterminé devant ses supérieurs, père et mari aussi aimant que fantomatique dans l’intimité, l’homme fascine autant que sa quête peut paraître suicidaire. Malgré tout, je regrette un peu que la galerie de personnages qui l’entoure ne soit pas aussi marquante. Celui de la femme d’Armstrong, incarné par la talentueuse Claire Foy, aurait mérité d’être un peu plus présent à l’écran. Quant aux autres, on est parfois plus proche du cameo que du second rôle avec une vraie trajectoire notamment en ce qui concerne ceux de Buzz Aldrin et Michael Collins qui font plus figure de faire valoir de luxe que d’équipiers modèles. Les développer aurait contribué à renforcer l’empathie que l’on éprouve envers certains protagonistes mais je vous rassure ce n’est pas forcément handicapant pour la compréhension du propos.

Steven Spielberg qui officie ici en tant que producteur exécutif aurait choisi Chazelle après avoir vu « Whiplash ». Choix plutôt bien senti, au vue des similitudes entre les personnalités obstinées de Andrew et de Neil Armstrong.

Je le répète, il ne faut pas chercher dans « First Man », un rapport détaillé sur la mission Apollo 11. L’essentiel est ailleurs. Damien Chazelle pose sa caméra pour nous livrer le témoignage du principal acteur sur l’une des missions les plus célèbres de l’histoire de l’aérospatiale. La mise en scène de Chazelle cherche à être la plus immersive possible. En alternant souvent entre plans rapprochés et shaky cam, il arrive à créer une proximité entre les spectateurs et les personnages. Par moments, le dispositif atteint ses limites. Ainsi, on peut regretter que l’ombre de « The Tree of Life » plane parfois dans les scènes qui cherchent à capter l’intimité de la famille Armstrong. Pour autant, Chazelle atteint son objectif dans les phases spatiales. Le choix de les filmer en IMAX se justifie. J’ai vraiment eu l’impression d’être embarqué aux côtés de l’équipage de ce voyage lunaire et de ressentir le même sentiment de peur et d’excitation qu’eux. La volonté de Chazelle de vouloir réaliser ces séquences comme un thriller se ressent et les moments de calme qui suivent apparaissent comme un repos salvateur.

Pour décrire le projet à tous ses collaborateurs qui ont bossé sur le film, Damien Chazelle employait la formule « la cuisine et la lune » pour souligner sa volonté d’allier l’intime à l’épique. À ce qui paraît, ce serait Ryan Gosling qui le lui aurait soufflé.

Après, il est certain qu’en travaillant sur un scénario imposé, le réalisateur américain sort de sa zone de confort et n’atteint pas forcément la maestria de ses précédentes œuvres. On est loin de l’univers coloré et riche de « La La land » mais en s’entourant de certains de ses collaborateurs habituels – le directeur de la photographie Linus Sandgren, le monteur Tom Cross et le compositeur Justin Hurwitz, Chazelle a imposé certains choix artistiques plutôt osés (voir spoils) qui, au détriment parfois de la véracité historique et du rythme, renforcent le propos que véhicule le film. Loin d’être une œuvre de commande classique, First Man demeure un brillant exercice de style qui porte un regard sans fard sur l’exploit d’un homme qui a marqué le 20e siècle. Je ne peux que saluer bien bas.

La bande originale de Justin Hurwitz m’a énormément fait penser à celle que Hans Zimmer avait composée pour « Gladiator ». Il y a un mélange de thèmes épiques et d’autres plus mélancoliques qui collent bien à la quête cathartique d’Armstrong. En tout cas, elle m’a autant bouleversé que marqué.

Spoils /Explications/ Spoils/Explications/ Spoils/Explications/ Spoils/ Explications/ Spoils/ Explications/ Spoils/ Explications

Où est le drapeau ?

L’une des choses les plus surprenantes dans la reconstitution de l’expédition d’Apollo 11, c’est le fait qu’à aucun moment, on ne voit le drapeau américain flotter dans le ciel lunaire alors qu’il s’agit quand même d’un des symboles les plus célèbres de la réussite de la mission. Ce n’est pas passé inaperçu car dès que le detail a fuité sur la twittosphère, de nombreux utilisateurs ont crié au film antipatriotique. Depuis Venise, Damien Chazelle a expliqué ce choix artistique en disant que l’instant précis où le drapeau est planté fait partie des quelques moments de la mission Apollo 11 sur lesquels il a décidé de ne pas s’étendre. Je ne peux que lui donner raison car, selon moi, il y avait plus important à montrer.

Pour moi, ce parti pris se justifie par le prisme de la quête cathartique d’Armstrong. Durant tout le film, Chazelle et Singer montrent que si Neill Armstrong  s’est engagé dans la mission Apollo 11, c’est en grande partie pour oublier le décès de sa fille. Sa victoire n’est pas d’avoir permis aux États-Unis de remporter la bataille de la conquête spatiale sur la Russie mais plutôt d’avoir réussi à se dépasser pour arriver à surmonter sa douleur et sa peine dans le travail. Ainsi, le choix de montrer Armstrong jeter le vêtement de sa fille dans le cratère lunaire représente le principal symbole de sa victoire. La façon dont est découpée la séquence et la composition de Hurwitz qui l’accompagne renforcent cette idée. Chazelle montre le personnage Armstrong seul face à cet abîme et alterne entre des plans sur son scaphandre, le vêtement de sa fille et un plan plus large où l’espace prend une bonne partie de l’arrière-plan. Le score d’Hurwitz, « quarantine » (dont le titre n’est pas anodin), reprend en partie la partition de « The landing » tout en lui donnant une dimension mélancolique et anti-épique. L’alliance des deux m’a conforté dans l’idée de me trouver face à un homme qui était en train de retrouver sa paix intérieure, celle qu’il recherche depuis la mort de sa fille et qui lui permettra enfin de vivre heureux avec sa famille. En somme, la vie normale qu’il a promise à sa femme Janet.

 

First Man : Le Premier Homme Sur La Lune

  • Est
  • N'est pas
  • Bien écrit même si la plupart des personnages secondaires importants sont proches du cameo.
  • Un rapport détaillé sur la mission Apollo 11 mais plutôt le portrait de l’homme qui l’a menée à bien.
  • Très bien réalisé même si le dispositif que met en place Chazelle connait certaines limites.
  • Un biopic académique bien lisse…
  • L’un des meilleurs rôles de Ryan Gosling.
  • … Ni une œuvre de commande réalisée par un Yes man à la solde des studios.
  • Accompagné par l’excellent score de Justin Hurwitz.
  • Vraiment un film d’aventure spatiale. Ici, l’intime prime souvent sur l’épique.
Rendez-vous aux oscars / 20