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Le Grill a aimé

Au revoir là-haut

La gloire d’Albert

 

Une adaptation ne se juge pas à la rigueur de sa fidélité mais au contraire à la pertinence de ses transgressions. Si le roman de Pierre Lemaitre n’a rien du mastodonte hugolien, ces 600 et quelques pages n’ont toutefois pu effectuer la bascule au ciné qu’au bénéfice d’un dégraissage de premier choix. Le parti pris du récit raconté par le personnage principal permet ainsi de nécessaires ellipses à l’histoire de l’arnaque du poilu Maillard et de la gueule cassée Pericourt, grands oubliés de la guerre, qui profitent de l’engouement patriotique de la nation pour lancer un bon gros “merde” à toutes ces années que l’on dira folles.

Ayant commencé avec Bernie en 1996, souvent cité comme l’exemple même de la comédie trash, Dupontel a toujours roulé hors des sentiers battus avec son humour au vitriol et son amour des laissés-pour-compte. Deux points communs avec Lemaitre.

Le livre n’oublie jamais qu’il transcende du roman de gare, le style est simple, bourré d’humour en politesse au désespoir de l’après guerre. Le foisonnement vient de ses images fortes, de son approche incisive de l’époque, de ses personnages. Là où le métrage marque, après une vingtaine de minutes dans les tranchées qui n’a rien de renversante, est qu’il jette de nécessaires ponts dans le déroulé pour condenser tout le monde d’Au Revoir Là-Haut, resserre les vis, rapproche les intrigues pour un rythme joyeusement inégal puisqu’en constante accélération. Le scénario a connu treize versions, un travail payant quand on voit, par exemple, la réécriture de l’introduction de Merlin.

À deux coïncidences qu’on avalera ou pas et une légère modulation finale un brin plus “positive” et visuelle que son homologue papier, on est tout simplement devant le cas d’école de l’adaptation réussie. La trame du Goncourt était démente, le film ne l’est pas moins, pire, il semble parfois l’améliorer.

 

Dupontel admet avoir pioché dans les Sentiers de la Gloire de Kubrick, mais un passage avec un homme sandwich et trois estropiés fait aussi très Orange Mécanique.

S’il s’approprie pour la première fois un texte dont il n’est pas à l’origine, Dupontel garde sa double casquette d’acteur/réalisateur. Paraît qu’il a été propulsé dans le rôle de Maillard par un désistement à un mois du tournage… à d’autres ! Il incarne à la perfection ce héros picaresque qui semble piocher dans tout son répertoire : mensonges, quiproquos et lutte des classes comme des descendants en ligne directe de Bernie à 9 Mois Ferme en passant par Enfermé Dehors. On assiste à la fois à un aboutissement de ses thèmes de prédilection et à une performance juste de looser magnifique, d’une tendresse rétro à la Chaplin. Pour la suite du casting, on reste sur une appréciable absence de petits joueurs : Nahuel Perez Biscayart, tête d’affiche de 120 battements par minute (littéralement, il n’y a que sa tête sur l’affiche de 120 BPM) pour nous offrir une autre belle composition d’écorché vif, Laurent Lafitte en méchant over-the-top, Emilie Dequenne et Mélanie Thierry aux rôles raccourcis par rapport au roman et la petite Héloïse Balster froquée en gavroche. Enfin Niels Arestrup en père amer, comme souvent dans sa filmo. La plupart sont présentés comme des caricatures (le capitaine d’industrie, le militaire peu scrupuleux, l’artiste maudit) pour que l’on ait vite en tête la dizaine de protagonistes principaux avant d’en épaissir le caractère à chaque passage à l’écran.

Albert Dupontel, légèrement plus âgé que l’Albert Maillard du roman, est parfait en escroc au grand cœur incapable de mentir.

Reste la réal, forcément en coûtant quatre fois moins qu’un long dimanche de fiançailles (16 millions d’après Albert, autour de 20 pour le CNC, dans tous les cas on est entre la quinzaine du dernier Dany Boon et les 24 d’Intouchables) pour deux heures de reconstitution historique avec une scène de bataille et de belles têtes d’affiche, on n’avait pas exactement le budget pour de l’image retouchée à chaque seconde par une batterie de graphistes. Au niveau du style, Dupontel a évolué bien sûr, mais son socle reste ces perles noires indé des débuts avec des saillies surprenantes dans un film d’époque. Ses gimmicks de réalisation comme des cuts brutaux ou des travelings avant accélérés font toujours sa signature, presque sa grammaire, à laquelle il faut adhérer. Reste que je préfère une réalisation qui a du chien, parfois à l’excès, plutôt qu’un technicien adepte du plan-plan bien lisse. Dans le moins pardonnable : les zooms sur l’hôtel Péricourt, des fins de dialogues un brin poussives ou un flash back aussi sexy que ceux d’un téléfilm des années 60. On ne va pas dire que ça n’y est pas mais ça se dilue dans la puissance du tout, ça n’empêche en rien l’émotion de poindre et le final de se révéler grandiose. La mise en scène est loin d’être avare en bonnes idées à des kilomètres d’un quelconque académisme, la plus belle étant peut être le jeu sur les masques, embellissant le défiguré alors que son compagnon ne va plus supporter le regard renvoyé par son miroir. En somme, Au Revoir La-Haut est et demeurera un Dupontel avant tout, de sa sève à sa forme, son plus grand dans les moyens dont il a disposé et on l’espère aussi, une certaine forme de consécration au delà de ses afficionados.

Au final, il faut sortir le calendrier et remonter à loin pour trouver une proposition de ciné aussi forte, inspirée, honnête et intelligente dans l’hexagone. Que vous l’ayez lu ou non, courrez profiter de cet immanquable.

Un de nos sémillants lecteurs proposait comme titre “à tout à l’heure en bas”, c’est non (mais ça m’a quand même fait marrer).

Au revoir là-haut

  • Est
  • N'est pas
  • Une adaptation exemplaire, fidèle à l'esprit du livre
  • Une représentation marquante des tranchées
  • Un récit dense mené tambour battant pendant 2h
  • Sans quelques gimmicks de réalisation
  • Doté d'un casting exceptionnel
  • Aussi radical que le roman, sans le dénaturer pour autant
  • Une comédie noire qui laisse sur le tapis
  • Pas toujours grand public, on a un Dupontel calme mais un Dupontel quand même (tant mieux)
J'ai pas chialé comme ça depuis la scène de la dissection d'Alien 3 / 20