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Documentaires

Jodorowsky’s Dune

Ce qui est en haut

Je me rappelle quand petit je suis tombé sur l’Incal dans la bibliothèque de mon père, une série de BD qui – je l’ignorais alors – avait secoué le genre durant les années 1980 : un homme à tête de chien, du sexe, des rats contrôlés par la pensée, une ville dans une méduse, des seins, une secte mêlant chrétienté et transhumanisme, des homéo-putes, de la violence et une approche mystique de la science-fiction, un récit bigger than life m’ayant profondément marqué. Ce que j’avais dans les mains alors, je devais découvrir des années plus tard, était la vengeance d’un créateur sur le cruel revers que lui a fait subir Hollywood, c’est la transposition sur papier des idées tirées d’un récit qu’il avait d’abord imaginé en 24 images secondes : Dune.

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Le livre sous les bras de Jodorowsky est le dossier qu’il a présenté aux producteurs après deux ans de travail, à part le Napoléon de Kubrick, jamais un tel boulot a été fait sur un film non tourné.

Fort du succès d’el topo et, dans une moindre mesure, de la montagne sacrée, Jodorowsky qui pouvait se targuer d’avoir été à l’origine du genre des « midnight movie », s’est alors lancé en 1973 avec le producteur français Michel Seydoux dans l’adaptation du space opera Dune de Franck Herbert. Dans un univers où l’homme a dû se transcender pour remplacer les machines s’étant rebellé contre lui, une intrigue à la Game of Thrones (Lannister 4 ever) prend place entre différentes familles se disputant une planète désertique : Arrakis, la seule à receler une précieuse épice dupliquant les facultés mentales et permettant de plier l’espace pour permettre les voyages spatiaux. Sur ce coin de désert, un jeune homme, Paul Atréides, va devenir le messie de tout un peuple à travers un des plus importants romans d’apprentissage de la SF.
Jodorowsky s’est emparé de ce récit pour bâtir un projet pharaonique. Voulant créer un film frôlant les douze heures, faisant de chaque planète un monde à part pourvue de son propre univers musical (le mec avait débauché Pink Floyd, excusez du peu), ayant récupéré des artistes alors quasiment inconnus comme Giger qui créera Alien avec O’Banon, responsable des effets spéciaux, aux plus grands, fascinés par l’aura de Jodo comme Dali ou Mick Jagger. Chacun ayant été convaincu à la façon d’un des sages du désert d’El Topo, comme une énigme à résoudre qu’Alejandro en conteur-né nous narre. La réalité des faits ? Je préfère glisser une pilule dans son verre comme un gentleman ayant optimisé son ratio cocktails offerts en soirée /années de prison le temps du film. L’histoire est géniale, ça me convient très bien.

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Au final le Dune de David Lynch de 1984 fut aussi difficile à mettre en place notamment à cause des conflits avec ses producteurs, il finira même par en renier certaines versions. L’oeuvre est intéressante mais éloignée de ce que Jodo avait en tête.

Le Dune de Jodorowsky a surtout été un projet qui a voulu dépasser son statut de film, d’objet de consommation, Alejandro voulait transformer le cinéma en athanor happant le spectateur dans son univers pour le relâcher transformé. Dans une démarche purement mystique il voulait faire de son œuvre une expérience sensorielle et spirituelle encore jamais vu, avec la portée philosophique de 2001 l’odyssée de l’espace, un univers vaste comme celui d’un Star Wars et une réflexion sur la réalité à la Matrix. De bien belles intentions mais en voyant le boulot de préparation accompli, l’équipe de guerriers spirituels réunie et la dévotion du réalisateur à sa cause, on ne peut s’empêcher de ressentir qu’à un degré peut être infime, cet homme a touché du doigt, un instant, un projet d’une puissance inouïe qui aurait changé la vie de milliers de personnes. Et que les sceptiques se jettent sur El Topo ou Santa Sangre avant de donner un quelconque avis. Seul, cet homme a été purement novateur. Imaginez ce qu’il aurait pu faire avec des moyens illimités et tous les plus grands créateurs de l’époque au pinacle de leurs arts respectifs. Dune a été conçu comme la naissance d’une religion nouvelle autant qu’un film. Hollywood n’a pas eu peur, Hollywood a juste été incapable de comprendre ce qui lui arrivait, son troisième œil aidant lui aussi à compter des billets.

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Jodorowsky a renoué contact à l’occasion du documentaire avec Michel Seydoux après 23 ans. Du coup ils ont décidé de faire cinq films ensemble qui suivent une version romancée de la vie de Jodorowsky, la danza de la realidad en a été le premier volet. Encore un projet raisonnable pour Jodo qui fête ses 87 ans cette année.

Dune n’a pas vu le jour, trop gros, trop hors du système pour les producteurs, pourtant Dune a essaimé. Toute la vague des films de science-fiction d’Alien au Cinquième Élément en passant par Contact ont du Dune en eux. Le plus grand film jamais réalisé porte bien son nom, ce reportage est un voyage particulièrement jouissif dans les rouages de ce projet qui restera une ode à l’imagination. Jodorowsky’s Dune est un film nécessaire, un écho d’un rêve qui n’a pu se concrétiser mais dont la force de suggestion est restée intacte. Vu qu’il est sorti il y a trois ans déjà et qu’il n’arrive au cinéma qu’aujourd’hui pour des problèmes de droit (entre autres) entrainé par la mort de Jean Giraud/Moebius ayant fait le story-board, je pense que beaucoup de ceux qui connaissait le reportage l’ont vu, moi le premier, mais je ne peux que vous conseiller de vous jeter de nouveau sur un fauteuil rouge, d’ouvrir grand votre esprit et de voir ou revoir ce film, brisé certes mais donc le seul capable de laisser passer la lumière.

 

Jodorowsky’s Dune

  • Est
  • N'est pas
  • Une vision de la vie d’une idée, de sa naissance à sa mort et sa renaissance à travers toutes les œuvres qu’elle a inspirées
  • Forcement pour les fans hardcore du roman, après c’est toujours fascinant de voir une autre vision de l’œuvre
  • Génial pour l’histoire de Jodorowsky formant son équipe, une quête mystique en soi
  • Un film laissant un sentiment d’injustice, il n’existe pas mais il a généré tellement de choses géniales que quelque part il vit sous une forme qui lui est propre
  • Un hommage vibrant à l’un des créateurs les plus originaux de la seconde moitié du XXéme
  • Une nouveauté, présenté en 2013 à Cannes et déjà sorti en Blu-Ray aux USA le film est toutefois une curiosité appréciable sur grand écran
  • Ok c’est un reportage mais tu vas chialer comme une pucelle matant Titanic pour la quatorzième fois, ce film est une ode au plus bel échec qui soit
  • Le vinyle de Wasnatch, front to back
Ce qui est en bas / 20