Loading...
Festival de CannesLe Grill a aimé avec réserves

Juste la fin du monde (on a moins aimé)

Pour une fois le Grill n’est pas d’accord, l’occasion d’avoir deux points de vue sur Juste la fin du monde. Retrouvez l’avis d’Alcide ici

Pari loupé ?

Sur le papier, une pièce de Jean-Luc Lagarce adaptée par Xavier Dolan était, pour moi, l’idée du siècle tant certaines thématiques du cinéaste québécois collent parfaitement à celles de l’auteur français. Je dirais même que le film avait tout pour faire un carton : la pièce est excellente et le casting qui a réuni le réalisateur de Mommy dantesque (Cotillard, Ulliel, Cassel, Baye, Seydoux). Sauf que le soir de la projection presse à Cannes, beaucoup de journalistes en sont sortis très déçus, allant même jusqu’à dissuader certains festivaliers (dont votre serviteur) de chercher des places pour la séance du lendemain.

En réalité, le résultat est moins pire que ce que l’on m’avait annoncé. Le point fort du film est que, même si le texte, la structure et le style de Lagarce ne sont pas retranscrits avec exactitude, on sent que Dolan a bien compris le fond de la pièce. Derrière, cette histoire de fils prodigue qui revient le temps d’une journée dans le foyer familial pour annoncer à ses proches sa mort prochaine, Lagarce en a profité pour traiter l’un de ses thèmes favoris : la difficulté des êtres à communiquer entre eux. L’erreur aurait été de supprimer les non-dits, les disputes, les échanges souvent à sens unique, les questions/ réponses tartes et les silences qui portent le propos de la pièce. Non, seulement le prodigue québécois l’a vite compris mais il cherche à ce que le malaise des personnages se ressente jusque sur leurs  visages, en filmant les acteurs souvent en gros plan. Les quelques trahisons que fait Dolan à la pièce ont souvent pour but de rendre certaines scènes moins littéraires et plus vivantes. Notamment, il remplace certains monologues par de beaux flashbacks et métaphores visuelles (notamment celle du coucou à la fin que j’ai trouvé très juste).

520343.jpg-r_1280_720-f_jpg-q_x-xxyxx

Autre gros point fort, la gestion de la lumière qui tant vers des teintes à la fois sombres et crépusculaires.

En fait, là où le cinéaste se perd c’est dans la liberté d’adaptation que lui laisse le texte d’origine (Lagarce donne très peu de didascalies ou d’indications de mise en scène dans ses œuvres). En voulant imposer jusqu’à l’excès son univers furieux et kitch, l’ensemble devient souvent grossier. Si on prend les personnages, dans la pièce de Lagarce, ils sont des stéréotypes auxquels les spectateurs peuvent parfaitement s’identifier mais qui vont s’affiner tout au long du récit. Dolan les transforme en caricature. L’exemple le plus frappant est celui de la belle-sœur Catherine, femme en retrait ayant très peu confiance en elle dans l’œuvre de l’auteur français, elle bégaye tous les deux mots chez le réalisateur québécois.

Sa direction d’acteurs approximative aggrave le problème car si Nathalie Baye et Gaspard Ulliel retranscrivent avec véracité les fêlures ainsi que les nuances de leurs personnages, il en va autrement pour les autres. Du groupe des trois restants, Léa Seydoux s’en sort le mieux par moment : son interprétation de Suzanne, la petite sœur, frôle la crise d’adolescence tardive mais elle reste souvent assez juste. Le vrai problème vient de Cotillard et Cassel. La première s’embourbe trop dans la vision caricaturale de son personnage tandis que le second interprète la figure du petit frère caractériel blessé dans son amour propre comme un psychopathe prêt à déchiqueter la carotide de son interlocuteur.

maxresdefault

Même dans un regard triste du personnage de Cassel, on peut lire “je vais te tuer”.

Souvent sans finesse, c’est le constat que l’on peut faire aussi de la mise en scène de Xavier Dolan. Il manque d’inspiration pour faire évoluer sa signature et ça se sent. Au-delà, des costumes très outranciers dont il affuble ses personnages, il nous ressert quelques scènes déjà vues dans son cinéma mais en moins bien. Je ne suis pas contre le fait qu’il veuille refaire un moment d’émotion musicale dans une cuisine mais quand la chanson est d’O-Zone et que la scène tourne presque au pastiche, cela devient problématique. Reste sa composition des plans soignés et inimitables, me direz-vous mais encore là c’est loupé. Rarement, Dolan arrive à transcender son huis clos, pire, sa gestion de l’espace est assez statique avec une propension à saturer le cadre de personnages. Si je suis conscient que le but était de nous faire ressentir l’étouffement de la situation, en l’état on a le plus souvent l’impression d’être face à une mauvaise captation France 2 que d’une mise en scène vraiment construite sur la continuité.

522218.jpg-r_1280_720-f_jpg-q_x-xxyxx

Heureusement, que le jeu subtil de Baye contrebalance avec son costume ridicule sinon Dolan aurait raté l’un des personnages les plus intéressants de la pièce.

Pour autant, si Juste la fin du monde est, à mon sens, à moitié raté (ou à moitié réussi c’est selon) et que je reconnais que les multiples déclarations de Xavier Dolan peuvent être agaçantes, il n’empêche qu’il a eu le mérite de sortir de sa zone de confort, en délassant la dimension épique de ses récits pour s’enfermer dans un huis clos grinçant. Peu de réalisateurs l’on fait cette année à Cannes et rien que pour ça je respecte sa démarche. Si la presse et ses détracteurs s’acharnent à faire  descendre le cinéaste québécois de son piédestal, Xavier Dolan a indéniablement du talent. Si ce n’est pas Juste la fin du monde qui le confirmera, je suis sûr que son prochain projet américain le fera.

Willard

Juste la fin du monde (on a moins aimé)

  • Est
  • N'est pas
  • Assez respectueux du fond et des idées véhiculées par la pièce
  • Une retranscription à la virgule près du texte de Lagarce
  • Doté d’une direction d’acteurs approximative où Cotillard et Cassel en font des caisses
  • Du niveau « Mommy » mais Dolan a le mérite de sortir de sa zone de confort
  • La preuve, pour l’instant, qu’il a du mal avec les huis clos
  • Aussi catastrophique que les mauvaises critiques l’insinuent
  • Le film qui montre les limites du style du cinéaste québécois.
  • Sans quelques beaux plans ou idées de mise en scène
Pari à moitié raté (ou réussi c’est selon) / 20