Il faut souffrir pour être belle
Nicolas Windin Refn est le génial réalisateur de la trilogie Pusher, de l’épique Valhalla Rising mais il a surtout explosé en 2011 avec Drive. Vous vous demandez pourquoi Night Call de Kavinsky est passé en boucle à la radio à ce moment-là ? Oui, c’est grâce à ce film.
Contrairement à Drive et Only God Forgives dont l’esthétique rappelait les années 80, ici on est limite dans du postmoderne (à deux vieilles bagnoles et un motel près). Néanmoins l’affiche VHS est ma préférée.
Juste après, il s’est aliéné une partie de son public en sortant Only God Forgives, sorte d’introduction à la psychanalyse version thriller à dominante de rouge. L’image poisseuse d’une thailande à l’air saturé d’humidité parlait d’inceste, de remords sur fond de crise existentielle et de Gosling mutique. Pour moi ce film est la quintessence d’une facette de son cinéma : la dictature de l’image et de la mise en scène – de l’ambiance pour faire simple – prenant le pas sur tout le reste, le scénario étant la première victime. Dans Neon Demon on est dans une optique un pas en avant, deux en arrière, NWR (il signe le film de ses initiales, hommage à YSL ?) va encore plus loin dans l’extrême stylisation de ses plans mais abandonne au passage une partie du trip sensoriel en présentant des personnages excessivement froids, des barbies 100% plastique, renforcé par l’automutilation à coup de bistouri et de collagène prisés par ses héroines et un rapport au corps à la limite de l’assexué. Il a bossé avec des vieilles optiques pour donner à la peau, à la texture du sang à la carrosserie d’une voiture ou d’un papier peint un aspect de peinture satiné assez bluffant (touchant au décrochage de mâchoire en règle quand on se rappelle qu’il est daltonien). C’est simple, chaque plan de ce film a été conçu comme une peinture. J’ai rarement vu un contrôle aussi total de la mise en scène. L’association à des personnages (volontairement) statique génère une certaine forme de claustrophobie de l’image. On est coincé dans cet écrin ou pas un milimètre n’est laissé au hasard, le plus marquant restant ces scènes où l’action se situe dans le reflet d’un miroir, signifiant puisque allant de pair avec le culte de leur reflet auquel semble s’adonner tous les protagonistes, donnant un côté Blanche Neige à cette fable cruelle.
NWR a quelque chose que j’adore dans sa manière de filmer, son approche de la perspective et le très faible nombre de flous d’arrièr- plan. Beaucoup citent Hitchcock, j’oserais Welles.
Ici donc l’action se passe de nouveau à Hollywood, non pas dans le milieu des bas-fonds crapuleux de Drive mais dans celui beaucoup plus glamour de la mode. En effet, Jesse (Elle Fanning) et sa bouille de princesse Disney (littéralement, elle joue Aurore dans Maléfique) cherche à percer dans le monde du mannequinat. Jeune adolescente se sentant pousser des griffes en voyant que sa beauté lui ouvre toutes les portes et suscite toutes les convoitises, que ce soit de ses concurrentes directes ou des modèles plus vieilles proche de la retraite (à vingt et un ans dans ce milieu, tiens ça me rapelle Map to the Stars). Et ce n’est pas la magnétique Ruby (Jena Malone, les fans de Hunger Games, c’est à vous de briller) maquilleuse à moitié rassurante lui tournant autour ou encore l’inquiétant Keanu Reeves en patron de motel – du style on est content de le voir même si sa présence tient presque de l’anecdote de tournage – qui vont ramener vers la normalité The Neon Demon, prenant des allures de cauchemar acide et pop dès les premières images.
L’utilisation des miroirs touche à la schizophrénie. Pour ceux qui pense Mulholland Drive, oui mais pas tout à fait. Un manque d’âme peut être.
Pour être clair, le film est à part. Le réalisateur s’enferme dans son parti pris anxiogène, limite oppressant, toujours hypnotique, en dégraissant le scénario au maximum. Jetant une poignée de dialogues dans une lente succession de plans ultra stylisés, quitte à se faire reprocher d’avoir accouché d’une pub pour un parfum de 2h. Critique acerbe de ce milieu où le superficiel est roi mêlé à une symbolique ésotérique (la figure des trois triangles inversés symbolisant certainement les trois « sorcières » tournant autour de Jesse par exemple) culminant par une envolée dans le gore pour sa dernière partie. Je n’ai pas été surpris sachant à quel point Refn peut se montrer violent (la scène au marteau de Drive, pour ne citer qu’elle) tout en ayant conscience qu’il voulait faire un film d’horreur. Toutefois on est à part dans ce genre, on se rapprocherait presque du style Giallo et certains voient un parallèle avec Suspiria ou le mannequinat remplacerait la danse mais pour ma part NWR a façonné un film unique (sans pour autant masquer ses influences), perdant en fraicheur ce qu’il gagne en maitrise à travers ses séances photo à l’iconographie mortifère ou ce sentiment d’irréel habitant la moindre parcelle de cet univers.
Autant Elle Fanning est parfaite en ingenue pas si innocente que ça, autant j’ai du mal à avaler qu’elle subjugue tous ceux qui la côtoient. NWR prépare une série Barbarella sinon, je crois qu’il laisse des indices (MàJ : projet avorté).
Les amateurs de belles images seront aux anges devant cet espèce de juste milieu entre l’ASMR et la prise de drogue dure mais je regrette le récit, au final assez simple, m’ayant donné l’impression que le film aurait dû commencer là où il s’arrête… ou alors une heure de plus de cette bizarerrie accrocheuse ne m’aurait pas dérangée, je ne sais pas. En tout cas je ne me lasse pas de la bande-son signée Cliff Martinez, une réussite totale de ce côté-là.