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Le Grill a aimé avec réserves

Loin des Hommes

Comment ça, c’est pas un spin-off de the L World ?

Loin des hommes est le deuxième film écrit et réalisé par David Oelhoffen, après « « nos retrouvailles » en 2006, le monsieur a également coscénarisé « l’affaire SK1 », on peut donc dire qu’il commence bien l’année. Après pour être tout à fait honnête, ce qui m’a appâté dans la salle obscure c’est plus la présence de deux autres noms sur l’affiche : Vigo Mortensen et Albert Camus.

Les scènes en classe ont un petit côté “Tintin au Congo”, toutefois Camus avait volontairement inséré cet aspect dans la nouvelle

Je ne m’en étais jamais vraiment douté mais ça s’impose comme une évidence : Mortensen est un acteur taillé pour l’absurde, surtout quand on pense à ses rôles chez un autre David, Cronenberg, comme dans le thriller psychologique A Hystory of Violence de 2006 (adapté d’un roman graphique qui vaut le coup d’œil d’ailleurs) narrant l’histoire d’un père de famille dans une bourgade tranquille que son passé rattrape. Ici Mortensen dans son rôle de Daru, instituteur au fin fond de l’Atlas et réserviste qui a mis la Grande Guerre dans un coin de son esprit, va de nouveau être confronté à l’horreur  que l’on a refusé de nommer. L’Algérie commence à basculer, les funestes nouvelles des premiers attentats finissent par s’échouer dans son coin de désert tandis que l’armée à ordre de tirer à  vue. Mais ce n’est pas un film de guerre, la guerre est presque incidente à l’épopée de nos héros, Daru donc et le prisonnier qu’il a ordre d’escorter de l’autre côté du désert, Mohamed. Un jeune berger ayant tué son cousin pour une broutille, désormais destiné à être jugé par un tribunal colonial (autrement dit exécuté) s’il ne tombe pas entre temps sur les guerriers de son village qui veulent lui faire expier son crime de manière moins protocolaire mais tout aussi radicale.

Les fenêtres de l’école qui se font exploser lors de l’attaque mais qui sont magiquement intactes quand on la revoit… je t’ai bien aimé film, ça restera donc notre petit secret

C’est là que le film réussit à ne pas passer à côté de l’essence même de son sujet, en opposant l’absurdité de la situation de Mohammed à l’absurdité bien plus grande de la guerre dans son ensemble. Si dans la nouvelle Camus suggérait à peine le conflit (il est juste précisé que Daru avait suffisamment de réserve de nourriture que pour « tenir un siège »), ici il arrive au contraire pas à pas. On devine avec Daru qu’il se passe quelque chose, avant que les deux hommes ne se trouvent forcés de traverser cette portion de désert où toute l’humanité semble s’étioler.

Je le répète ce n’est pas un film de guerre, Daru est un déserteur dans l’esprit, la guerre l’a rendu humaniste et c’est par humanité qu’il refuse de la  faire de nouveau, néanmoins sorti de son école, microcosme dont il était le maître, la réalité le rattrape  bien vite. Mohamed quant à lui semble s’être résigné à son sort, néanmoins le conflit permet de relativiser sa situation et lui qui s’était mis au ban des hommes va peu à peu retrouver la force de vivre pour lui et non pour d’absurdes coutumes.
La réalisation n’est pas en reste, si parfois la caméra au poing semble inutilement superflue pour souligner l’action, c’est dans ces cadrages et sa gestion du hors champs que Oelhoffen se rattrape. L’assaut de l’école de Daru à un côté indien attaquant une diligence et les impasses mexicaines (mexican standoff, quand trois types armés se visent l’un l’autre) surgissent parfois donnant au film des allures de western avec un petit côté roman d’apprentissage. Ces deux-là sortiront changés de leur périple « loin des hommes » par le désert aride lieu de l’action mais surtout par leur envie de vivre et leur vision quasi cynique de la civilisation qui les en éloigne.

Viggo Mortensen est doublement une bonne idée pour ce rôle, parlant français et n’étant pas doublé ici, son accent sert la réécriture de Daru face à la nouvelle : il est fils d’immigré espagnols venu travailler en Algérie (appelé Caracole à l’époque). Ni français, ni algérien, il est mal vu dans les deux camps ce qui nous donne un personnage profond à la psychologie complexe. Pétri des textes de Camus, investi dans le rôle au point de coproduire le film, Mortensen a rarement été aussi bon dans ce film qui, je pense, ne restera malheureusement pas dans les mémoires. Reda Kateb, qui commence à sacrément bien faire son trou dans le cinéma français, notamment avec Hippocrate sorti l’année dernière, arrive aisément à ne pas se faire écraser par la présence de Mortensen, leur duo à l’écran fonctionne et vu la complexité des rôles ça touche à l’exploit.

Le film fait 101 minutes pour 11 pages de texte soit 9 minutes 12 la page, la trilogie du Hobbit fait 542 minutes (version longue) pour 320 pages soit du 1 minute 40 la page. Loin des hommes est donc 5,4 fois plus delayé que le Hobbit, la pertinence de ce calcul est quant à elle au-delà de toutes mesures.

L’écriture c’est du bon, le jeu d’acteur est irréprochable, l’esprit de Camus est transposé à l’écran avec beaucoup de justesse, la caméra réussit par instants à mettre en images la poésie qui se dégage des textes ; alors keskivapas ?
L’effet Bilbo le Hobbit.

En fait la nouvelle servant de base au texte, l’hôte, fait 11 pages à tout casser, en faire un film d’une heure quarante ça implique de rajouter beaucoup de péripéties, parfois ça passe, parfois ça casse. Tout s’enchaine un peu trop bien et certains événements m’ont semblé superflus. Cependant j’estime que l’équilibre général du film, sur un auteur aussi complexe et un sujet aussi casse gueule, tient de l’exploit.

Loin des Hommes

  • Est
  • N'est pas
  • Porté par un duo d’acteurs doué
  • Une claque magistrale façon Les Evadés ou justement A History of Violence
  • Une adaptation fidèle à l’esprit de Camus
  • Une adaptation fidèle au texte de Camus
  • Intéressant dans son côté récit d’apprentissage, perte de l’innocence
  • Sans quelques longueurs
  • Original et pertinent dans son approche incidente des « événements » algériens
  • Toujours pertinent dans ses effets de caméra bien que certains plans soient bien pensés
Daru regardait le ciel, le plateau et, au-delà, les terres invisibles qui s'étendaient jusqu'à la mer. Dans ce vaste pays qu'il avait tant aimé, il était seul. / 20