…qui aurait dû le rester
Au début j’avais pensé à faire un article un peu méprisant sur le fait qu’un (bon) thriller social appelé les Ardennes sorti en avril était bien meilleur que le (faux) thriller social des Dardenne. Ensuite je me suis dit qu’il y avait peut-être quelque chose à dire sur cette fille inconnue, principalement car je n’ai jamais aimé le duo quand ils étaient encensés à Cannes et que je me dois donc de devenir objectif le jour où ils perdent les faveurs de la croisette. Une dissonance cognitive, ça se cultive.
Au moins l’affiche ne ment pas, c’est gris, minimaliste et centré sur Adèle Haenel qui tient un film qui ne se tient pas lui-même.
Pourquoi la greffe drame social sur tapis rouge n’a-t-elle pas prise cette année ? C’est d’autant plus incompréhensible que le film transparaît à chaque image la patte des frangins. Le lieu déjà, la banlieue grise limite insalubre de Seraing, et pas mal de visages connus des habitués de leur filmo : Jérémie Renier, Olivier Gourmet, Fabrizio Rongione.
Au-delà il y a leur style, le parti pris épuré poussée peut-être encore plus loin. Aucune musique si ce n’est le roulement mortifère de la bretelle d’autoroute en arrière-plan, un détachement des personnages, la moitié au moins ne sont pas nommé dressant un parallèle plutôt malin entre notre héroïne uniquement définie par ses actions et la fille inconnue du titre, la stricte chronologie du récit sans le moindre repère temporel pour autant. Quelque part, une telle austérité force le respect entre deux ronflements…
La fille inconnue se montre si avare en personnages et en décors que certaines interactions paraissent forcées, comme celle où Adèle va chercher Louka Minnela après qu’il ait abandonné médecine pour élever des chèvres dans l’équivalent wallon des plateaux Larzac (ce n’est pas la Wallonie dans son ensemble ça ?). Une démarche un peu simpliste…
Jenny n’a pas d’amis, de famille ni même de chez soi ou de proches, plutôt que de chercher le dénominateur commun à tout ça, elle s’est forgé une armure de bourreau de travail opiniâtre quand catastrophe, on sonne à sa clinique passé la fermeture, elle n’ouvre pas et l’inconnue viendra grossir la liste des crimes non résolus de la région Wallone ; rongée par le remords, Jenny relance la mode de l’autoflagellation en partant mener son enquête. Même en faisant durer ma phrase 446 caractères je n’arrive pas à transmettre le nom suspens généré par ce pitch. Ne vous y trompez pas, la fille inconnue est une sorte de Louis la brocante post-mortem. Ce n’est pas que le dénouement nous prend là où on ne l’attend pas, c’est plutôt qu’il arrive quand on ne l’attend plus. Le fil rouge existe pour souligner la misère ordinaire que le film semble dénoncer ou montrer en seul comportement décent, c’est au choix…
Adèle Haenel, révélée dans “La naissance des pieuvres” et plus récemment à l’affiche du notable “Les combattants”, devient l’objet d’un quasi-portrait en creux – malgré le fait que la caméra ne la quitte jamais – dans la mesure où elle ne se dévoile que dans ses interactions avec ses patients. Dommage que ses indications de jeu la poussant à faire la moue en permanence rappellent de vieux runnings gags attachés à Kristen Stewart.
Alors pourquoi ce rejet ? Parce que Moi, Daniel Blake, plus partisan, plus empreint d’un triste optimisme a remplacé le rôle de dispenseur de conscience que les Dardenne occupaient, où peut-être que l’approche thriller phagocytée par leur style amovible n’a laissé qu’un gout de déjà vu, plus possiblement parce que cette heure quarante-six quasi monastiques est la plus longue de l’année.