Bilan du Festival de Cannes 2016 du Grill
Cannes 2016 est fini mais je ne me voyais pas vous laisser sans faire un petit bilan « positif » du 69 ème festival international du film. Je n’évoquerai pas à nouveau l’ensemble des 43 longs métrages que j’y ai vu mais je vais vous parler de la compétition puis des meilleurs films des sélections parallèles.
La compétition
Cette année, ayant réussi à voir l’intégralité de la compétition, je vous communique mon palmarès avant de dire quelques mots sur celui du jury de George Miller.
Mon Palmarés
Palme d’or: « Mademoiselle » de Park Chan-Wook
Le réalisateur d’ « Old Boy » était de retour en grande forme sur la croisette. « Mademoiselle » fait partie, selon le moi, du top 3 de ses meilleurs films. Pour résumer, c’est un grand jeu de dupe à la frontière du thriller érotique et du drame romanesque. De la direction artistique au scénario en passant par la mise en scène et le jeu d’acteur, tout y est maitrisé avec une précision effarante. Peu de films du festival, toutes sélections confondues, m’ont fait une aussi bonne impression.
Grand Prix : « Elle » de Paul Verhoeven
Le come-back du hollandais violent est une réussite. Ce cocktail à la fois drôle, sombre et malsain, renoue avec certaines des grandes thématiques de son réalisateur : manipulation, sexe et violence. La direction d’acteurs tire le meilleur de chacun de ses interprètes dont Isabelle Huppert tout simplement parfaite dans le rôle-titre. Quant au scénario de David Birke, j’ai trouvé qu’il respectait assez bien le roman de Philipe Dijan. Si je ne lui ai pas donné la récompense suprême, cela vient du fait que Verhoeven n’offre pas des plans aussi beaux et enlevés que l’ami Park. Mais, il reste quand même le deuxième meilleur film de la compétition cannoise ce qui n’est pas rien.
Prix du jury (ex-aequo) : « Toni Erdmann » de Maren Ade et « Paterson » de Jim Jarmusch
Le premier fut un vent d’air frais allemand qui souffla sur la croisette. Cette comédie dramatique traitant de la relation entre un père et sa fille, est l’une des meilleures du genre que j’ai pu voir ces dernières années en Europe, dans le monde, univers, cosmos, infini. Il est drôle, original, déjanté, bien écrit et très bien interprété. Dommage qu’il dure trente minutes de trop et que sa mise en scène soit atténuée par une photo un peu trop criarde par rapport au propos. Sans cela, il aurait certainement été ma palme d’or en tout cas je vous le recommande.
Pour le deuxième, j’ai longtemps hésité à l’inclure dans mon palmarès. En fait, il est certain que je voulais que deux films partagent ce prix mais la lutte entre « American Honey », « Le client » et « Paterson » était féroce. Le manque de scénario est le défaut rédhibitoire pour le premier malgré sa belle énergie déployée ainsi que la très bonne direction d’acteurs d’ Andrea Arnold. Le deuxième fut éliminé par le manque d’originalité de Farhadi car il s’aventure sur le même terrain qu’ « Une Séparation ». Le troisième m’a touché au cœur car Jarmusch réussit l’exploit de sublimer le quotidien monotone d’un chauffeur de bus qui se rêve poète. L’ancien rockeur réalise un véritable poème cinématographique sur la liberté de création. Ce fut l’un de mes coups de cœur de la croisette.
Prix de la mise en scène: « The Neon Demon » de Nicolas Winding Refn
Avec « The Neon Demon », le réalisateur danois a divisé la croisette. Certaines personnes ont trouvé le film vide d’autres, plus rares, ont crié au génie mais moi je me situe entre les deux. On est loin de la claque de « Drive », il aurait pu être un peu mieux construit mais il vaut le coup. Rarement, un réalisateur a réussi à faire une narration aussi visuelle et sensorielle que Refn sur ce film. L’esthétique, le choix des couleurs, le travail sur le son et la composition des plans contribuent vraiment à cette impression. C’est pourquoi le réalisateur danois aurait mérité d’obtenir le prix de la mise en scène à la place d’Assayas et de Mungiu.
Prix d’interprétation masculine : Dave Johns dans « Moi, Daniel Blake » de Ken Loach
Cette année il y avait de nombreux prétendants pour le prix d’interprétation masculine : Fabrice Luchini (« Ma Loute »), Shia LaBeouf (« American Honey »), Shahab Hosseini (« Le client »), Vlad Ivanov (« Baccalauréat »), Adam Driver (« Paterson ») auraient pu être récompensés. Moi, j’ai longuement hésité entre Peter Simonischek (« Toni Erdmann ») et Dave Johns mais comme j’ai mis le long métrage Allemand prix du jury, ce fut au comique anglais que j’ai accordé mon prix d’interprétation. La raison est simple : il a été l’un des seuls acteurs à réussir à me faire passer du rire à l’émotion avec une facilité déconcertante, chose un peu moins évidente pour les autres prétendants qui sont restés dans un catalogue d’émotions un peu plus restreint.
Prix d’interprétation féminine: Sonia Braga pour « Aquarius » de Kleber Mendonça Filho
Même chose pour le prix d’interprétation féminine : beaucoup de candidates mais une seule élue. Sandra Huller (« Toni Erdmann »), Adriana Ugarte, Emma Suárez (« Julieta »), Léa Seydoux, Nathalie Baye( « Juste la fin du monde »), Marion Cotillard (pour « Le mal de pierres » pas pour le Dolan), Hayley Squires( « Moi, Daniel Blake »), Jackyn Rose (« Ma’Rosa ») auraient pu faire de sublimes lauréates. Moi, j’ai choisi la brésilienne Sonia Braga qui porte et illumine littéralement le film « Aquarius » par sa présence. Toute la croisette était d’accord sur ce point.
Prix du scénario (ex-aequo) : « Le Client » d’Asghar Farhadi et « Baccalauréat » de Cristian Mungiu
Je n’ai pas voulu choisir entre les deux car j’estime qu’ils sont parfaits dans deux styles différents. Celui de Farhadi est un scénario à tiroirs qui distille chacun de ses éléments au compte-gouttes et construit à merveille des personnages intrigants qu’on a envie de suivre du début à la fin du film.
Le second vaut surtout pour son portrait très subtil de la Roumanie actuelle et son écriture qui rend son histoire prenante de bout en bout.
Après, d’autres films comme « Ma Loute » ou « Julieta » auraient pu aussi figurer dans mon palmarès mais je ne voyais absolument pas quel film écarter.
Le Palmares du Jury de George Miller
Je reviens en quelques lignes sur le palmarès de George Miller et son Jury : ils ont cédé à la tradition sociale cannoise et pris aucun risque. Sa Palme d’or « Moi, Daniel Blake » est un mélodrame engagé comme Ken Loach en a souvent fait dans sa carrière, avec quelques moments drôles mais ses protagonistes vont s’engouffrer dans une brutale descente aux enfers. Je n’ai pas été touché par cette œuvre et j’estime qu’il aurait été possible de faire un film moins larmoyant sans en occulter son message.
Accorder son Grand prix à « Juste la fin du monde » c’est récompenser le plus faible film de la jeune carrière du prodigue québécois ; il alterne moments de grâce et mauvais théâtre. Sa direction d’acteur est parfois approximative (je n’ai jamais vu Cassel autant surjouer) et le kitch de Dolan dans ses choix de décors, costume ainsi que maquillage accentuent le côté caricatural des personnages de Lagarce, dommage.
Pour les prix de la mise en scène, je suis assez partagé. En ce qui concerne celui accordé à « Personal Shopper », j’adore le cinéma d’Olivier Assayas et je suis content qu’il ait obtenu un prix mais il l’a eu avec un film mineur qui loin d’être mauvais reste quand même très imparfait. Pour Mungiu, que son « Baccalauréat » soit présent dans le palmarès est une évidence mais sa réalisation très épurée m’a laissé de marbre. En fait, je ne le voyais pas obtenir ce prix.
Pour le reste des récompenses, je n’ai pas grand-chose à dire. Jackyn Rose et Shahab Hosseini étaient des prétendants plus que crédibles au prix d’interprétation donc cela ne me choque pas qu’ils soient récompensés. Pareil, pour le prix du jury accordé à « American Honey »,J’ai longtemps hésité à l’inclure dans mon palmarès avant de l’écarté. En ce qui concerne le prix du scénario, je suis d’accord avec la bande à Miller.
La hors compétition et les sélections parallèles
Je ne vais pas vous parler de tous les films que j’ai vus en hors compétition et en sélection parallèle, je vais juste évoquer ceux qui m’ont séduit.
On commence par la hors compétition avec «Goksung» du coréen Na Hong-jin : Thriller surnaturel où un policier et sa famille vont être confrontés à une vague de crimes surnaturels. Il est captivant de bout en bout grâce à sa mise en scène quasi parfaite et son scénario complexe qui évolue progressivement dans l’horreur. Beaucoup de festivaliers ont estimé qu’il aurait mérité de se retrouver en compétition et je ne saurais leur donner tort car c’est l’un des 10 meilleurs films que j’ai pu voir sur la croisette donc fans de cinéma coréen ne le loupez pas.
Pour la Quinzaine des réalisateurs, je vous conseille de voir en priorité « Neruda », le biopic de Pablo Larrain, sur le poète chilien. Son film est dense, poétique, prenant comme un polar, porté par deux acteurs de grande qualité et offre une mise en abyme passionnante sur la puissance de la création artistique. Globalement, la croisette a adoré et j’espère qu’il en sera de même pour vous. Ensuite, je vais vous parler de « Ma vie de Courgette », moyen métrage d’animation franco-suisse, fait entièrement à la pâte à modeler et qui relate la vie d’un jeune orphelin qui déménage dans une maison sociale. Sublimé par l’excellent scénario de Céline Sciamma, il vous fera passer du rire aux larmes. Par contre, je ne le conseille qu’aux enfants de plus de 11 ans. Si vous êtes un grand fan d’Alejandro Jodorowsky, allez voir sa « Poésie Sin Fin », deuxième volet de son autobiographie filmique, après la « Danza de la Realidad ». Le film est un cran en dessous de ce dernier mais reste une expérience de cinéma poétique, onirique, fantasque et intense. Beaucoup se sont plaints de l’absence du cinéma Italien en sélection officielle mais c’est du côté de la sélection d’Édouard Winetrop qu’il a rayonné surtout avec « Fais de Beaux rêves » de Marco Bellocchio: un film qui traite le deuil sur le plan de la hantise. Il réussit à être simple, à sonner juste mais surtout à être poignant de bout en bout.
Ensuite, nous allons aborder deux films de la semaine de la critique. Le premier se nomme « Grave », il est réalisé par Julia Ducournau. Pour faire simple, c’est un mélange entre les codes du teen movie et des films de cannibalisme. Profond et très bien mis en scène, il montre, tout comme évolution, la bonne santé actuelle du cinéma de genre français. Le deuxième se nomme « Apnée », un film français signé Jean Christophe Meurisse où un ménage à trois décide de quitter leur société bien trop étroite pour assouvir leurs idées de liberté. Que l’on soit clair, cela faisait bien longtemps que je n’avais pas vu une comédie française partir aussi loin dans l’absurde et le burlesque. C’est inégal par moments, certaines scènes fonctionnent à merveille, d’autres un peu moins mais ça fait du bien de voir de pareilles propositions de cinéma dans l’industrie hexagonale. Si vous recherchez un grand bol d’audace, je vous conseille ce film.
Dans la sélection un certain regard, j’ai été charmé par « Captain Fantastic » et « La tortue Rouge ». Dans le premier, on suit Viggo Mortensen élevant ses enfants en autarcie qui, à la mort de sa femme, va devoir effectuer un long voyage pour respecter ses dernières volontés. C’est à peu près dans la même veine qu’un « Little miss Sunchine » mais il traite d’un thème dix fois plus casse gueule. Sans être un chef-d’œuvre, j’ai trouvé qu’il s’en sortait très bien, d’ailleurs il a reçu le prix de la mise en scène remis par le jury de la sélection. Dans le second, l’histoire est celle d’un naufragé qui va essayer de sortir de son île déserte mais une immense tortue rouge fait échouer toutes ses tentatives. Beaucoup moins impressionnant qu’un Miyazaki, le premier film européen du studio Ghibli reste un beau moment de poésie (sans parole). L’émotion arrive à passer et l’histoire est très agréable à suivre donc pourquoi s’en priver.
Il ne me reste plus qu’à vous remercier de m’avoir suivi pendant les 10 jours du festival. J’espère que les films que je vous ai conseillés vous plairont et je vous dis à très vite.
Willard