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Le Grill a aimé

I feel good

Levée de fond du panier

Gustave Kervern et Benoît Delépine sont un peu et très bizarrement en train de devenir nos Woody Allen à nous, les casseroles en moins, la bière tiède en plus : un film tous les deux ans depuis 2004, avec un casting de grands acteurs qui se prêtent à l’exercice d’improviser autant qu’ils jouent les fables sociales délirantes que notre duo couche sur papier. Comme si ici le lapin s’appelait Seve Jobs et la tortue Abbé Pierre.

Les racines grolandaises de nos réalisateurs ne sont jamais loin non plus, ce double fantasque et beauf décomplexé de l’hexagone inventé pour Canal +, terrible miroir déformant du quotidien où leurs sketchs gras, subversifs mais rarement cons, même parfois poétiques savent résonner avec l’actualité.

Dans I feel good, Jacques (Jean Dujardin déclinant à merveille un nouvel archétype de grand couillon que l’on adore détester), va rejoindre sa sœur gérante d’un village Emmaüs (Yolande Moreau, dont c’est la troisième collaboration avec nos réalisateurs, ogresse toute pleine d’une touchante humanité), avec son projet cynique de start-up pour tenter d’arsouiller ce microcosme rempli de gueules cassées ayant trouvées un équilibre dans leur communauté colorée, pas loin d’une petite utopie collaborative.

I feel good se déroule un petit peu comme Saint-Amour, road trip aviné où un tour de France d’un père et son fils (Depardieu / Poelvoorde) est émaillé de personnages marquants, ici les errances un brin répétitives et ultra-capitalistiques de Jacques l’amènent à rencontrer toutes les personnalités du centre Emmaüs. Dans les thèmes, on se rapproche plutôt du Grand soir où deux frères (Dupontel / Poelvoorde) partent mener leur micro-révolution contre la société de consommation, mais en moins trashouille. Le conte philosophico-politique de Delépine et Kerven est donc dans la continuité de leurs thèmes de prédilection, peut être mieux fait que jamais ici, plus affiné, moins malsain et plus franchement drôle qu’avant.

Présenter le caractère de « winner » de son héros comme d’une maladie mentale via une série de punchlines parodiques bien senties (« Il n’y a pas de grand pays sans grands patrons » ou « Si à cinquante ans, t’as pas un peignoir et des mules, t’as raté ta vie ») pour l’opposer à une Yolande Moreau pure et presque ingénue au milieu de sacrés moments de n’importe quoi – la séquence du crachat – fait d’I feel good une comédie sociétale de haute volée, à défaut d’être tout à fait un film familial par les thèmes abordés.

Enfin, notre duo de réalisateurs essaye aussi des choses derrière la caméra. Si on les savait préférer les plans larges aux champs/contrechamps pour les dialogues, afin de laisser tous les personnages sur le même plan à l’écran, ici ils vont plus loin et adoptent une narration par « vignettes ». La caméra adopte souvent des plans fixes assez long, à la photographie bien travaillée, aux couleurs parfois saturées pour être plus pimpantes, servant parfaitement l’aspect « documentaire fantasmé » de cette histoire en lui donnant un aspect reportage-photo animé assez unique. Un petit côté « arty » ou ciné d’auteur, une secousse bienvenue dans le style des deux brigands précités, même si elle ne sera pas au goût de tout le monde. Si à ça on ajoute un thème musical accrocheur rythmant les transitions entre les différents chapitres, un humour abrasif mais jamais méchant et parfois dévastateur puis une fin génialement iconoclaste, on obtient une comédie pas bête que l’on conseille les yeux fermés.