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Festival de CannesLe Grill a aimé

Le Fils de Saul

Fils Prodigue

Film vu dans le cadre du 68ème festival de Cannes, critique à chaud en sortant de la salle ici.

S’il y a une rumeur qui a la vie dure, c’est que le festival de Cannes est une usine à films aussi pédants que profondément ennuyeux. Du coup un premier film hongrois quasiment muet de deux heures sur Auschwitz où le réalisateur entend relancer une réflexion sur l’holocauste pour les nouvelles générations ; pour dire le moins ça n’annonçait pas que du bon.

Le fils de Saul est génial.

Je répète ?

LE FILS DE SAUL EST GENIAL.

 

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Grand prix du jury à Cannes, déjà gagnant de plusieurs récompenses et nominé pour l’oscar du meilleur film étranger, le Fils de Saul est bien parti pour devenir un classique

Alors oui dans les bons films traitant frontalement le sujet on a eu l’holocauste doux-amer de La Vie est Belle, la grandiose fresque qu’est La Liste de Schindler, Shoah le documentaire viscéral, mais pour se rajouter en fin de liste le fils de Saul emprunte une voie que peu ont pris avant lui (et de mémoire, aucun ayant pour cadre la seconde guerre mondiale) : la subjectivité absolue en suivant un seul prisonnier que l’horreur a rendu sociopathe.

En résumé un juif, Saul, est membre des sonderkommando, c’est-à-dire les déportés recrutés par les nazis, nécessaire main-d’œuvre à cette immense machine de mort. Sauf que Saul n’en peut plus, son esprit s’est brisé par cette complicité forcée avant que le film ne commence, un mois ou une seconde avant on n’en sait rien, et on le suit comme un fantôme se baladant dans l’infernal chaos du camp avec pour mission l’absurde charge qu’il s’est lui-même donné : enterrer le cadavre d’un garçon qu’il a reconnu comme son fils.

 

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La scène d’introduction est dans mon top 10 des trucs que je ne pensais pas montrable au cinéma.

On a parfois parlé du fils de Saul comme l’anti-Schindler, c’est vrai sur beaucoup de points. À la fresque historique et à l’héroïsme des personnages du Spielberg ici on est au contraire dans une négation de la vie, l’espoir n’existe pas ou s’il apparaît, comme à travers les autres prisonniers qui préparent leur évasion, c’est incident à l’histoire de Saul, une nuisance vouée à l’échec. « Tu es dans le monde des morts » lui crache-t-on parfois. C’est vrai, l’acteur, Géza Röhrig – un écrivain hongrois dont c’est la première apparition à l’écran – nous montre constamment le visage d’un homme éteint, un regard noir cerné associé à un quasi-mutisme dégageant un charisme écrasant.

Et je n’ai même pas entamé le meilleur, le film est filmé de telle sorte que tout ce qui est au-delà d’une soixantaine de centimètres de la caméra apparaît flou (voir vidéo plus bas). En plus de cette particularité, László Nemes fait le choix de la caméra à l’épaule et du plan-séquence (chaque scène est ainsi composée de peu de plans de plusieurs minutes chacun), cela pour mieux pouvoir suivre Saul dans le dédale grouillant d’Auschwitz, terrifiant mélange entre une usine, un asile et un cauchemar éveillé. Prouesse technique ne laissant qu’une marge d’erreur de quelques centimètres au comédien, encore plus compliqué quand on implique des dizaines de figurants et beaucoup de déplacements.

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Entre la bouche couverte de Saul symbole de son mutisme et le flou d’arrière-plan propre à la technique visuelle utilisée, ce n’est qu’une fois sortie de la salle que l’affiche prend tout son sens.

Ce dispositif, loin de se suffire à lui-même s’attache à transcender ce récit : le flou pour montrer que Saul ne voit plus le monde autour de lui, qu’il s’est renfermé sur lui-même (et est donc le seul élément net) mais aussi cela permet de ne pas montrer l’enfer autour de lui que l’on va seulement deviner par le travail sur le son. Cris, coup de feu, bruit de machine et de discussions agitées, nous poussent à imaginer, à visualiser tout le hors champs nourri par tout l’imaginaire que l’on a de l’horreur des camps. Le fils de Saul est un des rares films à m’avoir provoqué une véritable sensation de malaise par le niveau d’immersion qu’il parvient à atteindre. On en arrive aux plans-séquences, long, parfois trop mais toujours juste dans leur but de nous montrer l’aspect harassant de sa quête.

J’ai évoqué l’absurde tout à l’heure, car oui Saul s’inscrit en descendant d’une vision hallucinatoire de la guerre qui écrase l’humanité de ceux qui ont eu le malheur de se trouver sur son passage. Ayant bien plus en commun avec les séquences les plus perturbantes d’Apocalypse Now, The Wall ou de Voyage au bout de l’Enfer que de la Liste de Schindler.

Le fils de Saul est un grand film sur la guerre qui ne ressemble à aucun autre, et cela sans citer une seule fois Hitler. Avec sobriété et un nombre de dialogue qui tient sur les doigts d’une main, il a incarné la vision d’Auschwitz qui restera. Pour un premier film, à part éventuellement quelques longueurs largement pardonnables dans la deuxième demi-heure (idéale pour se remettre du traumatisme sur pellicule qu’est la scène d’intro), László Nemes a posé non seulement un excellent film, mais une œuvre profondément marquante, majeure.

 

Le Fils de Saul

  • Est
  • N'est pas
  • Une réussite absolue, une introduction coup de poing, une fin qui laisse sur le carreau
  • Sans une certaine répétition, l’errance absurde de Saul et le peu de dialogue induisent une baisse de rythme autour de la moitié du film, quelque part je pense que cette construction est nécessaire pour introduire la suite.
  • Osé dans sa mise en scène qui transcende son propos
  • Un film de détente, le Fils de Saul va loin, très loin
  • Un film sur l’holocauste particulièrement réaliste, dur et malsain, tout en étant visuellement très sobre
  • Un film de guerre mais un film sur la guerre, on est plus proche du drame psychologique bien que son côté unique empêche tout classement
  • Joué, incarné, à la perfection
  • Un film où les gentils gagnent à la fin, ici il n’y a pas de gentils, pas de victoire, pas de fin, seulement un malaise persistant
Auschwitz a son Citizen Kane / 20