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Festival de CannesLe Grill a aimé

Les Chatouilles

La danse de la colère

Odette, trentenaire, décide de d’entamer une thérapie. Elle commence alors à parler pour la première fois de l’Odette qu’elle était à 8 ans, de ses rêves de devenir danseuse et de Gilbert, le voisin pédophile qui la détruira.

Le pire, c’est que cette histoire on la connaît. On l’a vu dans les journaux et on a tous eu ce réflexe de demander « mais pourquoi elle attend vingt ans pour dénoncer ça », « mais comment ça se fait que les parents n’aient rien vu ». C’est là toute la force du film, il sait trouver les mots et les tons justes pour révéler l’évidence, de celle qui fait « tilt » en nous envoyant une baffe d’anthologie.

Les chatouilles, même s’il met un point d’honneur à éviter le pathos et s’est donné pour mission de nous coller un sourire aux lèvres, est ce genre de film d’où l’on sort en ne marchant pas tout à fait droit.

Andréa Bescond est Odette, son histoire est largement autobiographique, elle l’adaptera avec son compagnon Eric Métayer en 2015 sous la forme d’une pièce de théâtre, un one woman show. Tout comme Guillaume et les garçons, à table ! (dans un genre très différent), le récit sera raconté à la première personne, son interprète rodé de centaines de représentations sachant pertinemment au moment de passer à la case ciné ce qui fonctionne, élargissant même le propos en ajoutant le rôle du père (Clovis Cornillac, renversant dans son rôle du même personnage à plus de vingt ans d’écart). L’écriture est au cordeau, tout à fait frontale dans ce qu’elle raconte, limite brute de décoffrage, le ton demeure pourtant résolument solaire, peuplé de punchlines.

Odette nous explique comment elle s’en sort : Les chatouilles est le récit d’une battante alternant entre exorcisme et résilience avec une pèche d’enfer.

Le cinéma est aussi l’occasion pour ce couple de primo réalisateurs de se démarquer. La narration alternant lieux et époque au gré de champs/contrechamps franchement inspirés et des tout petits riens comme un plan à la grue dans une salle de danse ou l’utilisation de la musique sont autant d’occasion pour Andréa Bescond de briser le quatrième mur. Loin du superflu, ces effets collent à sa narration en forme de long monologue, on est dans sa tête et l’on suit le fil de sa pensée. L’empathie est maximale pour ce caractère bien trempé.

On a évoqué Cornillac, on ne peut que saluer aussi Karin Viard en mère détestable et dans le déni, Grégory Montel en compagnon incapable d’imaginer le pire, Gringe en bon poto qui confirme son potentiel d’acteur, Carole Franck en psychiatre confrontée au cas de sa carrière et enfin Pierre Deladonchamps, jouant un prédateur lisse comme du papier glacé. A des lieux de l’image que l’on peut avoir d’un pédophile, il est sympathique, limite séduisant, sa performance terrible de précision devenant le reflet d’une certaine forme de mal absolu.

Les chatouilles vous met les doigts dans la prise, électrifiant et douloureux, impossible de s’en sortir avec un oscillogramme plat. Un des très grands films français de cette année.

Présenté dans la compétition Un certain regard à Cannes, de même que Girl, Les chatouilles n’a (injustement) rien eu, mais il s’est rattrapé à Deauville où ses réalisateurs ont été primés et au Festival du film de Hambourg qui l’a sacré meilleur film.