Austen Powers
Whit Stillman est un de ces réalisateurs qui tournent relativement peu – cinq films en 26 ans – mais qui ont réussi à fédérer une fanbase aussi solide que confidentielle, en l’occurrence principalement féminine. Faut dire que Whit sait s’y prendre pour les études de mœurs. Sa trilogie des “comédies of mannerlessness” (traduisible par les comedies du manque de manière en société, mais ça a carrément plus de punch en VO) avec Metropolitan (1990), Barcelona (1994), et Les deniers jours du Disco (1998) avait ainsi dressé un truculent portrait des mœurs de la haute bourgeoisie urbaine des années 80. Avant de revenir au ciné en 2011 pour pas vraiment changer de style dans Damsels in Distress, assaisonnant peu ou prou sa foire aux gossips avec des étudiantes à peine plus jeunes que ses héroïnes précédentes.

L’affiche est un peu sobre mais dans le ton grinçant du film, d’ailleurs pas de doublage français, “Pan, in the teeth”.
Dire que Whit Stillman est le Woody Allen goy n’est pas loin de la vérité, toutefois on sent une pointe d’ironie supplémentaire, d’appétence pour les tournures de phrases acides et de distanciation envers ses personnages dans une écriture très littéraire. Donc le voir aujourd’hui adapter du Jane Austen, c’est l’évidence même.

Dans la mesure où Stillman a adapté en roman les derniers jours du disco et a donné une prequelle papier à Lady Susan, la nouvelle dont est inspiré Love & Friendship (qui est d’ailleurs le titre d’un autre Jane Austen), on n’est pas étonné que le texte prime sur la forme.
Jane Austen… Pour beaucoup ça se résume à la collection de VHS à couverture mauve sous le fauteuil de votre grand-mère (avec le petit napperon et la boîte de biscuit rassis), pour d’autre c’est la femme de lettre la plus mordante du XIXème, ayant croqué avec une bonne dose d’ironie les mœurs de la grande bourgeoisie de son époque. Le film de Whit a le mérite d’avoir parfaitement saisi l’esprit de l’auteure, ne se contentant pas de mettre en place des intrigues amoureuses en costume d’époque mais en se consacrant tout entier à dresser des caractères acidulés. Tout ce beau monde gravite autour de Lady Susan, jeune veuve désargentée cherchant le meilleur parti pour elle et accessoirement sa fille. Merteuil en puissance, la méchanceté en moins, incarnée par Kate Beckinsale réussissant à rappeler en un rond de chapeau qu’avant Underworld et ses vampires fétichistes du lycra, elle est loin d’être une mauvaise actrice.

Si Kate Beckinsale tient le film, Chloë Sevigny est loin d’avoir un rôle aussi important, l’affiche met en fait en avant le duo des deniers jours du Disco.
Le casting, la direction d’acteur sont bien le point fort du film, tous présentés avec un kitsch mesuré pour au final former un film choral plaisant. So British dans l’âme, Stephen Fry aidant, Love & Friendship sous ses airs de série télé overclockée cache une vraie volonté de rendre hommage l’aspect caustique de l’écrit. D’un autre côté, ce détachement des personnages, principalement dû à une caméra relativement statique, aux plongées/contre-plongées discret, se cantonne à un rôle d’observateur loin de la composition d’un Greenaway (quand on pense à Meurtre dans un jardin anglais, chronique acide de cette époque aussi), ou du grandiose d’un Barry Lyndon. L’efficace sobriété de la mise en scène correspond certes au budget modeste du film mais ne rend pas le visionnage particulièrement marquant, même si les comédies rythmées de cette intelligence sont plutôt rarissimes.

Ah le XVIIIéme tout beau tout propre, sans chicots ni syphilis, c’en est presque rafraîchissant. Par contre pour le Love on repassera, je vais pas me plaindre pour une fois qu’on ne confond pas Austen et Brontë.
Excessivement verbeux, avec un fond travaillé au possible dans une forme malheureusement juste passable, Love & Friendship risque d’être le messie des fans de ce style et une plaisante expérience pour le reste des gros bœufs qui préfèrent quand c’est quand même plus punchy ou viscéral (présent !). Léger mais piquant, je ne peux que recommander.