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Festival de Cannes

Netflix à cannes?

« Le Festival de Cannes a demandé en vain à Netflix d’accepter que ces deux films puissent rencontrer les spectateurs des salles françaises et pas uniquement ses seuls abonnés. De fait, il déplore qu’aucun accord n’ait pu être trouvé. »

Le festival de Cannes s’est fendu d’un communiqué concernant les deux films produit et diffusé par Netflix à Cannes. The Meyerovitz Stories” du réalisateur Américain Noah Baumbach qui fera peut-être autre chose que du sous-Woody Allen ce coup-ci même si ça paraît pas gagné et “Okja” du Sud-coréen Bong Joon-Ho, réalisateur de l’excellent Transperceneige.

En bref, si rien ne change pour cette année, les deux films restent en compet, le festival change ses règles et refusera à l’avenir les films ne bénéficiant pas d’une distribution en salle. Au Grill on est sceptique face à cette vision plutôt anti-streaming qui ressort de ce communiqué orienté.

Même si rien ne remplacera une séance dans une bonne salle obscure nous ne pensons pas que Netflix est un barbare sanguinaire couteau aux dents dont la seule raison de vivre est le massacre des cinémas de quartier avec la lapidation de bichons frisés. Encore une fois le Grill à depuis longtemps confiné la séance de ciné dans le registre des paraphilies à connotation religieuse mais ce n’est pas pour autant que l’on a envie de sortir les torches face aux services de vidéo à la demande par abonnement, ceci pour une raison simple : on préfère voir un film sur sa télé que ne pas le voir du tout.

Venant d’un désert culturel où le cinéma art & essai local peinait à avoir les films indépendants dans le mois de la sortie tout en refusant les séries B sympas que le multiplex le plus rapproché dédaignait (les Ex machina, it follows, les deux derniers Greenaway ou la danza de la realidad de mémoire récente d’un homme meurtri), le streaming/VoD a été une immense oasis à notre cinéphilie. Ce raisonnement n’a pas lieu dans la plupart des grandes villes, c’est certain, mais raison de plus pour encourager Netflix et consorts à s’engager dans une démarche “auteuriste” pour propager du Ciné majeur ailleurs que dans les quatre salles à moitié vides longeant la Sorbonne, et je ne dis pas ça par dédain vu que je les fréquente assidûment. On ne dit pas que c’est mieux, mais le constat est simple, pourquoi s’offusquer qu’un film Cannois soit disponible immédiatement pour tous sur Internet alors que chaque année on ne s’émeut pas de sortir des pépites dans une centaine de salles (et encore c’est le meilleur score qu’un film indé puisse espérer sur les 2 000 cinéma que compte l’hexagone) dans l’année qui suit le festoche, sans aucune publicité. Prenons A Perfect Day, quinzaine 2015, plébiscité sur la croisette et sorti onze mois plus tard pour rester deux semaines à l’affiche ; je suis intimement persuadé qu’une mise en ligne dans la foulée de Cannes aurait inspiré la soirée de centaines de spectateurs juste après avoir entendu parler du film à l’occasion du JT ou de Canal (moins présent sur la croisette certes), leur donnant l’occasion de voir une bonne comédie noire et même, miracle, de réfléchir 15 secondes sur leur consommation culturelle “Pour la Bosnie !”.

Actuellement Netflix a un catalogue largement mainstream et ses productions originales ne nous ont pas vraiment convaincue, contrairement à d’autres services par abonnement comme Outbuster par exemple qui sélectionne une dizaine de films difficilement trouvables avec un goût certain avec un renouvellement régulier, dénichant par exemple les introuvables courts-métrages de Julia “Grave” Ducournau le mois dernier. Ainsi voir la plate-forme produire du contenu original en laissant une liberté certaine à ses auteurs est loin d’être une mauvaise nouvelle, en espérant que la chaîne comprenne son intérêt à faire du pied aux cinéphiles. Imaginer un monde dans lequel Dredd ou Scott Pilgrinn aurait bénéficié de la vitrine Netflix au lieu de faire un four en salle aurait, hypothétiquement mais on est des gros optimistes, permis un véritable engouement public pour ses œuvres que les studios se sont empressé de finir à coups de pelle avant de les enterrer au fond du jardin dans une discrétion honteuse.

D’autant plus que Cannes a communiqué massivement sur le festival de séries qui s’est tenu au sein même du grand palais un mois avant composé d’œuvres en majorité la propriété de chaînes privées, diffusées là où seront projetés dans une poignée de jours les films originaux Netflix. Cachez ce sein que je ne saurais voir ?

Transition Verhoeven, wouhou !

Mais la vraie raison à laquelle les discussions entre l’organisation du festival et Netflix n’ont pu aboutir ne dépendent d’aucun des deux partis, le festival a « demandé en vain à Netflix » quelque chose qui n’est quasiment pas de son ressort. En France, la loi a posé un calendrier d’exploitation des films qui frôle l’anachronisme malgré son noble but de justement protéger la diffusion en salles. Ainsi un film ne peut sortir en DVD que 4 mois après l’exploitation en salle, avant c’était 6 mois mais le délai a été réduit pour éviter les imports de DVD de pays voisins sortant bien avant (en Italie le délai est de tout juste un mois et les galettes fonctionnent très bien sur les lecteurs français, avec le doublage VF souvent inclus). Pour un service de VoD par abonnement, ce délai est de… trois ans ! Impensable effectivement pour Netflix de financer un film pour pouvoir l’exploiter trente-six mois après une sortie dans une centaine de cinémas français, le sacrifice du bénéfice, l’embargo que devront subir les cinéphiles l’ayant loupé en salle sans parler du piratage… Ne pas sortir ses films en salle n’est pas un coup de Netflix face à l’exploitant, c’est la seule possibilité qu’il a.

La tournure « le festival déplore que ces films ne puissent rencontrer les spectateurs des salles françaises » m’irrite. Non, ces films vont rencontrer des spectateurs, probablement bien plus que ceux qui auraient fait le déplacement dans les salles françaises s’ils avaient eu la chance d’avoir Okja diffusé à moins de 100 km de chez eux, et ce n’est pas une question d’argent vu que l’abonnement coûte grosso modo celui d’une soirée ciné. La réalité est que ces films ne vont pas, et c’est un fait établi, rencontrer les salles françaises, celles dans leur galère pour pas se faire bouffer par les multiplex en viennent à oublier qu’il n’y a jamais eu une telle fréquentation des salles aujourd’hui alors que le piratage n’a jamais été aussi massif. Ces salles qui perdent l’espoir lors de soirée spéciale avec trois pelés et redifs massivement ignorées de croire à un sursaut de cinéphilie massif, et pourtant… Voir des films provoque l’envie de voir des films, à Cannes de choisir s’il veut être un vendeur de billets ou un diffuseur de cinéphilie.

Netflix existe, autant composer avec.

Ainsi le grill est largement sceptique quant à la décision d’exclusion de Cannes. Comment concurrencer un catalogue qui comptera bientôt Scorcese avec des moyens de production n’ayant rien à envier à Hollywood ? Quand bien même le problème tiendrait plus au simple fait de ne pas se ringardiser. Imagine-t-on encore Pulp Fiction ou Apocalypse Now en compet, pourtant des gagnants de la palme ?

Netflix existe, comme la cassette à bouffé les cinémas de quartier et internet a pulvérisé les magasins de location. Le cinéma doit s’adapter comme il l’a toujours fait, l’histoire nous a appris que ceux qui s’attachent à l’ancien système qu’ils voient perdurer ne sont plus là pour en parler. Mon précieux numéro des années Laser titrant “pourquoi le DVD ne remplacera jamais le LaserDisc” est là pour en témoigner. Un modèle à l’américaine avec Netflix qui a un délai d’un an avant de pouvoir diffuser un film sorti en salles et qui se sert des festivals, comme Sundance, pour promouvoir du ciné indé pas dégueu (I dont feel at home in this world anymore, le gagnant boosté par le géant du net) paraît un bon compromis face au système français donnant ce coup-ci l’impression de faire l’autruche. Je ne veux pas que ce billet soit un pamphlet contre les cinéma que j’aime et continuerais de fréquenter, mais plus qu’une disparition des salles, c’est une ratification des bons films que je crains. Plutôt que de trancher un nœud gordien qui n’appelait pas à une réponse binaire, le Festival ferait mieux de chercher, si ce n’est le meilleur, le moins pire des compromis.