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Le Grill a aimé

Night Call

I’m gonna show you where it’s dark but have no fear

 

En 1986 est sorti Eye of the Tiger, une série B très moyenne, voire nanarde mais dont l’affiche indiquait fiérement « directement inspiré de la chanson de Rocky III ». Dans le genre promotion putassière on tient là un champion toute catégorie.

Alors quand j’ai vu l’affiche de Night Call (Night Crawler en VO) où apparaissait en bandeau « par les producteurs de Drive », j’ai eu l’impression que l’histoire se répétait et que des baffes continuaient de se perdre pour l’équipe marketing.

Night call film cinématogrill critiqueJ’aime autant l’affiche que je déteste le titre français, Nightcrawler (ver de terre) correspond tellement plus au film

C’est doublement dommage car non seulement l’iconique morceau de Kavinsky n’apparaît pas et de plus le film n’a rien à voir avec la bombe que Nicolas Winding Refn nous avait offert en 2011. Rien à voir… l’expression est peut-être un peu forte dans la mesure où les deux films sont des bons thrillers néo-noirs concentrant leurs intrigues sur un noctambule atypique qui passe le plus clair de son temps sillonner les rues de Los Angeles au volant d’un bolide. Néanmoins Lou Bloom est ici aussi prolixe que le driver est taciturne, aussi repoussant que le driver est héroïque et le jeu de Jake Gyllenhaal est au moins aussi  bon que celui de Ryan Gosling. Peut-être même meilleur si l’on considère que Gosling dans Drive joue un rôle dans lequel on est habitué à le voir tandis que Gyllenhaal dans son incarnation de l’amoral Lou Bloom semble possédé par son personnage comme peu d’acteurs ont réussi à l’être. À la fois dans la lignée sérieuse de ses récents rôles chez Denis Villeneuve (les excellentissimes Prisoners et Enemy de 2013) mais aussi complètement à part dans la mesure où Lou Bloom m’a fait l’effet d’être à mi-chemin de De Niro dans Taxi Driver et Jim Carrey dans Disjoncté (1996 et probablement le film “sérieux” le plus intéressant de Ben Stiller).

Le scénario tourne donc autour de ce personnage de Lou Bloom, un jeune homme qui cherche à faire son trou à L.A en alternant les petits boulots plus ou moins légaux, surtout moins, et qui va avoir une révélation : il est fait pour filmer des images chocs de meurtres, accidents de la route et incendie qu’il va ensuite revendre aux chaines locales de télévisions qui en veulent toujours plus dans le gore et le violent. Tant mieux, Lou est prêt à tout pour les fournir. À tout.

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Jake Gyllenhaal avec son régime de 9 kg façon Actors Studio et un faux air de McConaughey est parfait en Lou Bloom, sociopathe à la limite de l’absurde

La force de ce film c’est cette angoisse sourde qu’on entend résonner tout au long de cette intrigue qui prend son temps pour se développer jusqu’à la demi-heure finale et son climax qui m’a scotché au siège. La musique de James Newton Howard y étant certainement pour quelque chose. On reste un gros cran en dessous de Cliff Martinez (compositeur de Drive et Only God Forgives pour qui j’irais à Rome sur les genoux en me flagellant s’il me le suggérait), mais son travail se marie bien avec la vision presque déshumanisée de la ville qui nous est présentée : froide et dangereuse (pour un type étant le compositeur attitré de Shyamalan et plutôt habitué à illustrer du film pop-corn grand public je trouve qu’il s’en sort bien).

L.A. est d’ailleurs sublimée par la photographie de Robert Elswit, surdoué travaillant habituellement avec Paul Thomas Anderson qui nous présente ici parmi les plus belles images que la cité des anges a à offrir (je vous ai déjà dit que j’avais hâte de retrouver ces deux-là pour Inhérent Vice l’année prochaine ? Ben maintenant c’est fait).

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Rene Russo, un des rares personnages secondaires et accessoirement la femme du réalisateur est parfaite en FSS (Fausse Sharon Stone). 

Vient ensuite la caméra, et là c’est dur d’être objectif (caméra, objectif, je vous l’accorde, je suis hilarant). Le film est écrit/réalisé par Dan Gilroy qui signe ici son premier long-métrage. Point de plan renversant mais pas mal de bonnes idées, notamment l’intelligente utilisation du hors champs dans les scènes où Lou Bloom filme les victimes, notre voyeurisme nous poussant à focaliser notre attention sur le petit écran présent sur sa caméra qui montre la scène dans toute son horreur. Une idée qui sert de bien belle manière le véritable propos du film : la violence dans les médias.

En effet je l’ai dit, Dan Gilroy est scénariste et il nous sort le grand jeu : le personnage de Lou, solitaire s’occupant de sa plante verte (j’ai déjà vu ça quelque part) est un pur produit de la télévision et d’internet, parlant comme une page Wikipédia ou une émission de télé achat. Nombreux sont les antihéros à Hollywood mais rare sont ceux aussi inhumains, charognard et manipulateur que Bloom. On pourrait le voir comme une personnifiant une vision ultra-capitaliste, presque nihiliste, de notre société. Le personnage est réellement détestable, n’hésitant pas à frôler la ligne entre l’image de citoyen modèle qu’il cultive soigneusement et le criminel sociopathe pour obtenir ce qu’il convoite.

Un personnage principal comme ça n’existe tout simplement pas dans le paysage cinématographique actuel et le film joue à fond là-dessus sans se poser d’artificielles limites qui l’aurait rendu moins pertinent. Le budget mini (8 millions de $)  et la présence de Gyllenhaal ainsi que du frère du réalisateur (Tony Gilroy) parmis les producteurs explique sans doute pourquoi on est devant un long métrage qui sent bon la director’s cut, et ça fait du bien.

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Pur produit de ce que Cronenberg appelle l’Hollywood incestueux, qui s’échange les mêmes castings et personnages d’un film à l’autre, Night Call m’a quand même fait l’effet d’un pavé dans la mare

Night Call sous son apparence de thriller inspiré par Drive cache en vérité une œuvre atypique, un très bon film bien malsain sur la violence à la TV dans la lignée d’un Videodrome (le chef-d’œuvre halluciné de Cronenberg, 1984) tout en ayant ses forces propres notamment avec son héros (jamais ce terme ne m’a semblé si mal employé) Lou Bloom. Un must see pour amateur du genre que l’on n’attendait pas forcément mais qui est là et qui fait mal.

Night Call

  • Est
  • N'est pas
  • Un excellent film noir, très noir
  • Pour chipoter, avec une musique et une réalisation à la hauteur de Drive, même si comparer ces deux films me semble aussi inévitable que vain
  • Différent de Drive malgré ce qu’en dit sa promotion
  • Dans son scénario, sans quelques coïncidences un peu faciles
  • Un des meilleurs rôles de Gyllenhaal, si ce n’est le meilleur
  • La capture vidéo d’une de mes parties de GTA V qui dégénère
  • Doté d’une photographie et d’idées de mise en scène qui frôlent l’excellence
  • Bon en fait c’est un vrai bon film, j’ai pas vraiment de critique négative à lui faire
Noir et (im)pertinent / 20