La venus à la bobine
Si le mot “gargantuesque” vient à l’esprit quand on se penche sur le casting cinq étoiles du dernier Trantino et que l’on se met déjà à redouter (ou attendre, c’est selon) les envolées sadiques qu’un récit centré sur les exactions de la “famille” Manson promet, le film prend pourtant un malin plaisir à jouer avec nos attentes. Une oeuvre singulière, généreuse, blindée d’humour, centrée sur son duo Pitt-DiCaprio dans un récit dénué de tout regard fétichiste sur les tueurs. Pour une fois – et c’est grand – on préfère consacrer les vivants.
Si l’histoire est roublarde comme l’était le méli-mélo des récits de Pulp Fiction, elle se met toutefois en marge de la filmographie de son auteur car, pour la première fois, nos personnages Tarantinesques ne souhaitent ni se venger ni tuer qui que ce soit. Ils bossent dans le ciné point barre, avec un petit côté The artist ou Chantons sous la pluie puisqu’il cueille ce média au moment où il se transforme. On est loin de l’épique glorieux de Django Unchained ou du dispositif de huis clos whodunit des Huit Salopards. Le coeur d’Once upon a time… in Hollywood réside dans son décor, ou plutôt son époque, que nos personnages arpentent en guides involontaires. Pas tout à fait fiables mais infiniment bien à leur place dans cet univers.
Lettre d’amour à l’Hollywood de l’année 1969, à toutes les gueules qui le peuplaient, ce quasi-conte de fée pas vraiment Flower Power pourrait à un lance-flame prêt être qualifié d’oeuvre de la maturité. Difficile d’affirmer qu’il s’agit là de son oeuvre la plus personnelle, aucun Tarantino ne pouvant sérieusement être qualifié de “commercial”, mais en livrant son récit le plus réaliste, on pourrait dire lucide, sans archétypes de mafieux, cowboy ou soldats, on sent affleurer un propos et des valeurs bien à lui. A moitié un bon pied de nez à ses détracteurs (ou un doigt d’honneur, ce ne serait pas la première fois), à moitié une remontée à la source où il rappelle d’où vient son Art et où il va.
Impossible d’ignorer les ennuis qu’a connu QT ces dernières années (leak du script des 8 salopards, éjection de son producteur historique H. Weinstein se répercutant sur lui en accusations diverses et variées), Tarantino en est sorti le cuir probablement un peu plus dur et son talent visblement un peu plus grand. Apaisé, la fiction comme pansement, Once upon a time… In Hollywood est sa réponse à l’univers et au reste. Du Cinéma pour conjurer la réalité, gravitant autour de l’astre Margot Robbie, peu présente et pourtant solaire comme jamais.
Dans son sillage, DiCaprio alias Rick Dalton, star de western en perte de vitesse depuis que les gros blockbusters bien virils laissent la place au “nouvel Hollywood”, des films d’auteurs plus petit budget, plus proche de la réalité, s’affranchissant des codes du passé. Ironie du sort, il est le voisin de Polanski, un des ténors de ce nouveau cinéma. Puis sa doublure cascade et meilleur ami, la Vedette volant le show au reste des vedettes, un Brad Pitt émacié criant de vérité à travers son personnage de Cliff Booth, revenu de tout, rassurant comme un obus n’ayant pas explosé en touchant le sol.
On sent une écriture nourrie de cinquante ans d’anecdotes pour cet âge d’or qui vivra les meurtres de la famille Manson comme une douche froide, le signal que la fête est finie. Donc un propos de vieil aigri s’accrochant à un mirage pour nous dire que tout était mieux avant ? Non, surtout pas, car pour commencer le film ne dit rien, il le montre. En effet, pas ou peu de scénario ici, on suit les errances de nos héros avec une gestion élastique de la temporalité, on peut avoir une scène d’une demi heure en temps réel puis une éllipse de plusieurs mois, un flash back dans un flash back, un faux extrait de film ou même du film fantasmé, enfin du foreshadowing comme s’il en pleuvait. Tout pour mieux nous perdre.
Dans cet Hollywood sublimé : pas un plan qui n’évoque rien, pas un son qui n’aille pas dans le sens de cette profonde nostalgie douce amère d’une époque qui n’a jamais été, ou alors furtivement. Bien plus une galerie de tableaux qu’une histoire, on passe de la pure comédie à une séquence très Redneck Horror façon Délivrance ou Tobe Hopper, sans jamais perdre sa cohésion, son rythme ou même le spectateur.
Très grand Tarantino, sans conteste son plus beau, à la hauteur de toutes les attentes surtout car il a l’intelligence de les prendre à revers, Once upon a time… In Hollywood est ce genre de moment d’apesanteur que l’on pourrait visionner dix fois sans rien égratigner de sa fraicheur et de son charme.