Lundi, les noctambules cinéphiles ont matutinalement assisté à la transsubstantiation d’un rêve qui ne s’arrête pas à la seule victoire aux Oscars d’un bon film, Parasite de Bong Joon-Ho.
Troisième Oscar du meilleur film pour une palme d’or (après Le Poison de Billy Wilder en 1946 et Marty de Delbert Mann en 1956, et surtout d’après le Twitter de Philippe Rouyer), première sélection et victoire d’un film sud-coréen, consécration à l’international du cinéma le plus vivace du globe depuis deux décennies (pas encore une seule nomination pour Kim Jee-woon ou Park Chan-wook) et d’un auteur ultra-influent et pourtant trop méchamment méconnu mais surtout premier oscar en 92 ans d’existence pour un film qui n’a pas été tourné en langue anglaise (pour rappel, la seule phrase de The artist est “with pleasure”) !
Même ici nous n’avions pas (osé) croire à un tel sacre tant la victoire de 1917 aux Bafta, qui ont beaucoup de votants en commun avec la cérémonie du Dolby Theater, semblait acquise. D’ailleurs, aucune surprise pour les récompenses des actrices et des acteurs, identiques pour les deux cérémonies.
Parasite meilleur film étranger ? Une évidence (sorry not sorry Les misérables). Parasite meilleur scénario ? Un solide concurrent au Tarantino. Meilleur réalisateur ? Difficile à croire. Meilleur film ? Jamais le public américain, si réticent à la V.O. avec sous-titres, si friand de films de guerre, si fan de Mendes depuis facile deux générations d’American Beauty à Skyfall, ne semblait capable de remarquer un auteur comme Bong, d’apprécier unanimement un film inclassable. Et pourtant…
Certes Parasite frôlait le score parfait pour la critique (99% sur Rotten Tomatoes à l’heure où on écrit ces lignes) mais cela paye si rarement que l’on ne pouvait s’y fier. On explique difficilement ou mal ce triomphe, un rajeunissement des votants plus ouverts à la V.O. qui brouille les prédictions, un message à l’académie pour indiquer que les associations et les Guild ne font plus la loi à L.A. (les Oscars concluent une saison de cérémonie où chaque corps de métier du cinéma décerne ses prix) ?
Et maintenant ? Est-ce un “one shot” sans lendemain où les Oscars aspirent-ils à devenir une véritable compétition mondiale, quitte à courir un risque de désaveu du grand public américain ? Quitte à attiser les critiques des cinéphiles qui refuseraient de voir les USA seuls juges de leurs cinéma et celui des autres ? Quitte à voir ce qui n’est, en substance, qu’un “TV show”, déterminer ce qu’est un bon film ou pas ? Les débats font déjà rage face à ce choix, si ce n’est partagé au moins sacrément audacieux.
En tout cas, le vrai gagnant c’est Bong, et on ne se lasse pas de le voir sourire.