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Le Grill a aimé

Saint Amour

Vinothérapie

Saint Amour ça se passe au salon de l’agriculture, un paysan ayant dépassé l’âge de la retraite (Depardieu, sublime) garde l’exploitation familiale dans l’espoir de la léguer à son fils alcoolique et complexé avec le beau sexe (Poelvoorde, et là déjà tu sais que le film, il est parti loin). Le fiston veut plutôt profiter du salon pour se murger à tous les stands de dégustation, du coup le père l’embarque en taxi pour un tour de France (conduit par Vicent Lacoste qui a prouvé dans Hippocrate qu’il assurait, digne représentant d’une nouvelle génération d’acteurs se défendant plus que bien face aux deux autres monstres sacrés). Le trio de fortune va faire la route des vins sur trois jours, en profitant du même coup pour régler leurs problèmes avec leur relation, l’alcool et les femmes.
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Dès le départ les deux réals voulaient réaliser un film complet au salon de l’agriculture, le premier jet était un drame où un agriculteur ayant choppé le cancer à cause des pesticides se suicide en provoquant une ruade de son cheval pendant un concours agricole. Une fois cette proposition promptement jeté par le salon et Depardieu ajouté au projet, Saint Amour commença à naître dans l’esprit de ses créateurs.

Gustave Kervern et Benoit Delépine j’en ai jamais parlé ici, pourtant ça fait quelques années que j’ai Mammuth (déjà avec Depardieu et Poelvoorde), Le grand soir ou Near Death Expérience dans les cartons. Et le pire c’est que quand j’ai vu que Saint Amour était leur septième film j’ai modérément halluciné, où ils sont allés planquer les trois qui me manquait ? Aaltra décris comme un road-movie en chaise roulante, Avida et Louise-Michel (dont j’ignorais qu’ils étaient à la réal) qui prouvent que ces mectons sont réglés comme des métronomes, un film tous les deux ans, tic, tac, tic.

Ces deux gars proposent un autre cinéma mais ils n’ont pas fait de lettre ouverte, de manifeste ni d’école ; en gros ils ont pas fait chier. Sortant de Canal+, auteurs pour les guignols et Groland, ils se sont mis à la réalisation en 2004 sans l’aide de personne même si Delépine avait commis en 1997 l’introuvable Michael Kael contre la World News Company, fiction où il reprend son personnage de journaliste grolandais dont amazon, et c’est véridique, ne vend que les affiches et pas le DVD.

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Admirez Gustave Kervern au centre, sinon les acteurs ont tenu à ne pas utiliser de jus de fruit mais du vrai vin dans les scènes, certains parlent de méthode actors studio, d’autres d’alcoolisme… Sinon je vous conseille cette page d’anecdotes de tournage pas piqué des hannetons.

Leur cinéma c’est avant tout une sobriété dans les moyens, des acteurs qui leur sont attachés et un vrai refus des conventions, le plus souvent justifié par les moyens dont je parlais. Par exemple pas de Champs/Contrechamps ici, les plans deux c’est plus intime et ça coûte moins cher. De même ils choisissent tous leurs figurants eux-mêmes, du mec qui ouvre la porte à un prophète certifié 100% pilier de bar que l’on peut croiser dans Saint amour. Du coup il y a un vrai sentiment de tendresse mêlée d’une pointe d’ironie pour toute la foire aux miracles qu’ils font vivre à travers leur caméra.

Après c’est moins vrai niveau budget pour Saint Amour qui a quand même bénéficié d’un financement correct (4 millions, mais je pense que ça s’est divisé en 3 millions pour les acteurs et le reste en caisse de Bordeaux) et qui marque leur passage au numérique – en rajoutant du grain quand même, le pire c’est que ça fait complètement illusion – principalement car filmer Depardieu au salon de l’agriculture sans rameuter la foule tenait déjà de l’exploit, alors autant utiliser des caméras discrètes, mais c’est pas pour ça que leur esprit marginal est parti, bien au contraire. Comme un cinquantenaire qui passe des jumelles au télescope relié à un enregistreur pour observer la petite voisine de l’immeuble d’en face, ils affinent et adaptent avec le temps une inamovible façon de voir les choses.

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J’aime tout dans ce film sauf son affiche façon mauvaise caricature du figaro madame. Affiche qui annonce aussi Houellebecq, objet du drame très méta Near Death Expérience, ici dans une apparition mémorable (ou traumatisante, au choix).

En fait si je n’ai jamais parlé de Mammuth, Louise Michel ou le grand soir c’est que ce sont avant tout des films de niche, pour un public de misanthropes plus ou moins porté sur la boisson qui aime les grandes gueules, l’humour noir et qui passent outre quelques scènes moins rythmées. Typiquement le genre de film qui me perturbait énormément enfant par son approche très “station-service de campagne” du sexe et de la mort. Je ne vais pas défendre que Saint Amour est fondamentalement différent, mais c’est comme s’ils avaient réussi à équilibrer leur formule. Beaucoup plus comique que les précédents, on est passé du dramédie (contraction de drame et comédie, du coup je sais pas si on dit une dramédie ou un dramédie…) au feel good movie pur et dur. Saint Amour même si ça s’adresse plus à un public adulte, c’est une bonne grosse barre de rire entrecoupé de pas mal de moment de tendresse qui font mouche. Même les (petites) redondances, comme Vincent Lacoste qui va voir une ex à chaque étape, restent efficace. L’évolution des personnages sonne juste, est belle, nous ne prend pas pour des cons. Ah et faudrait que je case que la musique originale fait aussi passer ce film un cran au-dessus de la masse et est de Sébastien Tellier, c’est fait

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Mais regardez moi ces tronches, leurs postures, leurs regards, ils ne sont pas justes crédibles, ils incarnent leurs personnages comme peu d’acteurs en sont capables. On peut ne pas les aimer mais on ne peut pas ne pas être impressionné par l’aura qu’ils génèrent.

L’écriture de Kerven et Delépine n’a jamais été aussi bonne, pas un personnage du film n’est inintéressant et au-delà du côté road movie aviné plus que sympathique, les ogres Depardieu-Poelvoorde offrent parmi les meilleures prestations de leur carrière sans pour autant que l’on puisse résumer le film à eu deux tellement les idées de mise en scène sont nombreuses. Saint Amour c’est tout simplement un pur moment de plaisir brut à ranger précieusement à côté de trucs comme Little Miss Sunshine ou Amélie Poulain (et Dikkenek, faut pas déconner). Sans ours dans la neige, juste avec du rouge qui tache et…. Ah ouais bon en fait c’est une dramédie, au temps pour moi.

Saint Amour

  • Est
  • N'est pas
  • Le meilleur film de ses réalisateurs, le plus maitrisé dans l’écriture, le plus abouti
  • Un film fait pour remporter des Césars ou douze millions d’entrée, même s’il est moins destiné qu’à son public de niche que les précédents
  • Une comédie qui alterne entre le touchant et la grosse barre de rire
  • Un film qui se veut grand ou beau, mais qui est très grand et très beau quand il veut
  • L’idée superbement exploitée du duo père-fils Depardieu et Poelvoorde
  • Et puis merde, ça coute rien ou presque et ça vous nettoiera les yeux de tous les estrons calibrés pour sentir la rose qu’on bouffe d’habitude
  • Un road movie qui aime les marginaux, les « petites gens » et les héros ordinaire qui le peuplent
  • ...
C’est bon, arrêtez de chercher, j’ai trouvé la meilleure comédie française de 2016 / 20