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The Lighthouse

La lumière en haut du tunnel

Film primé à la Quinzaine des réalisateurs, Festival de Cannes 2019

Alors que ce film d’horreur baigné dans un noir&blanc léché mais âpre, très “arty”, affichant Dafoe, Pattinson et une poignée de goélands démoniaques, ne passe plus nulle part après n’être passé quasiment nulle part (sortie le 18 décembre dans 40 salles de l’hexagone à tout péter), il nous apparaît toutefois nécessaire de porter à votre connaissance ce dernier éclat noir de 2019. Promis quand même, la prochaine sortie ciné on vous en parle avant qu’elle ne soit disponible en dvd.

La première photo dévoilée du film en est aussi son meilleur résumé. La légende veut que Pattinson ait été ivre mort une partie non négligeable du tournage.

The Lighthouse est le deuxième film de l’américain Robert Eggers qui confirme être un formaliste de folie, normal pour un ancien chef décorateur. Si j’ai reproché à son précédent et précédent métrage, “The Witch” d’en dire trop et tout de suite sur son histoire de colons bigots martyrisés par une sorcière dans la Nouvelle-Angleterre de l’an de grâce 1630, il faut croire qu’il m’a entendu car cette fois l’approche Lovecraftienne prime : il y a peut peut-être des réponses et des clefs de compréhension pour The Lighthouse, mais elles sont noyées dans un tafia encore plus trouble que celui qu’ingurgite notre duo de héros jusqu’à s’en faire péter les neurones.

Les goélands, ces créatures du diable…

Retour dans la sombre Nouvelle-Angleterre mais fin XIXème cette fois, Pattinson, ex-bucheron un brin vagabond, s’apprête à assister un gardien de phare, Willem Dafoe, sur un caillou isolé battu par des vents violents où il n’y a rien si ce n’est un coven de goélands agressifs, un Dafoe se révélant vite tortionnaire violent et sadique, et une réserve conséquente gnôle étiquetée casse-poitrine. Rajoutons au mélange déjà délétère la dose massive de traumas semblant peser sur les épaules de notre héros et on arrive vite à du cinéma halluciné ou deux êtres hagards affrontent une existence absurde dans un montage labyrinthe où les jours se suivent et se ressemblent en pire, témoignant à la manière du journal intime d’un névrosé d’une inexorable descente dans la folie. Ce ne sont pas les rares dialogues dans un anglais désuet massacré par des accents cassés (dans le meilleur sens du terme) aux messages menaçants qui permettront de souffler. On sait que ça va mal finir, et c’est plus une question de « quand » que de « pourquoi » qui nous assaille.

La gestion de la lumière – sublime – flatte clairement l’œil tout en rappelant constamment son importance dans le récit.

L’angoisse sourde destinée à monter crescendo nous happe dès le premier son de corne de brume de ce bout de pellicule maudit parfumée au varech. Vous vous rappelez de la sirène du Silent Hill de Christophe Gans ? Ça aura pris 15 ans mais on a enfin fait mieux/pire niveau bande-son traumatisante. Le scénario volontairement confus offrant de superbes monologues à Dafoe quelque part entre Prospero et Zaroff, ayant une fascination mystique pour l’ampoule du phare qu’il garde jalousement. A côté, le jeu de Pattinson pas en reste, animé d’une colère rentrée, au moins au début, offre une délirante auto-thérapie d’un exorcisme entrecoupé de visions de cauchemars : idole d’ivoire antédiluvien, Shining à travers un fond de bouteille ou contre-plongée cyclopéen du phare, « maison de lumière » bientôt Hôtel-Dieu, section psychiatrie. Ai-je également parlé des sirènes hypersexuées ?

Sur une île phare phare away.

The Lighthouse, par bien des aspects, s’essaye, bien plus que the Witch, au cinéma « sensoriel », organique, de Lynch, Cronenberg (pour lequel a joué Pattinson), Zulawsky période Possession et pourquoi pas Noé ou NWR, à l’image de l’expressionnisme en peinture, on vise plus à provoquer l’émotion qu’à raconter une histoire. Expressionisme au cinéma aussi, le format noir&blanc carré provenant directement de Murnau pour lequel le réalisateur a une affection toute particulière, un « Untitled Nosferatu Remake » hantant depuis 2015 la liste de ses projets. Rajoutons dans les inspirations Poe, Melville, Milton, Stevenson, à peu près tout ce qu’a pu illustrer Gustave Doré à commencer par La Complainte du vieux marin où un homme maudit son équipage en tuant un albatros… Et c’est là que le bât blesse. Si The Lighthouse est somptueux et sa proposition furieusement originale, il est aussi prévisible par son approche ultra classique de l’horreur cosmique (cosmic horror, une sous-catégorie fascinante du cinéma de genre). 1h49 pour développer « deux gardiens de phare deviennent fous » paraît un brin longuet, voire enflé car on a compris que phare et phallus avait quelque chose en commun, pas la peine de nous le rappeler toutes les dix minutes, mais au-delà de ces problèmes de dosage, le film ayant bien conscience de son aspect Ovni veut marquer quitte à en faire des caisses, poussant à fond les thèmes déjà latents de The Witch (puritanisme poussé dans ses retranchements, relation malsaine de domination entre les personnages, frustration et symbolisme sexuel) tout en dégraissant au maximum sa nouvelle hallucination crépusculaire. « Trop généreux » fait cependant partie de ces défauts que l’on aimerait citer plus souvent, et des morceaux de romantisme noir de ce calibre ne sont pas légion pour amateur d’histoires qui se finissent mal.

Il paraît qu’il n’y a que les gens fêlés qui laissent passer la lumière.

The Lighthouse est un incontournable pour amateur de récit tordu, de direction artistique infernale et de Willem Dafoe tellement cruel qu’il en devient obscène, fort heureusement, ses trois qualités vont souvent ensemble. On recommande mais pas à tout le monde ce récit qui n’a définitivement pas la lumière à tous les étages (dans le meilleur sens du terme ici aussi).

The Lighthouse

  • Est
  • N'est pas
  • Un grand morceau de bravoure de Willem Dafoe
  • Pour ceux qui n'aiment pas qu'une histoire laisse des zones d'ombre
  • La énième preuve que Robert Pattinson est un des acteurs indépendants américains les plus intéressant
  • Très fin dans ses symboles, mais au moins niveau images chocs on fait le plein
  • Un cauchemar à l'ancienne et intemporel
  • Sans répétitions, voulues et revendiquées, mais parfois bancales
  • Baigné dans un très beau noir&blanc, la réalisation est inspirée
  • Pour les âmes trop sensibles
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