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Festival de CannesLe Grill a aimé

The Lobster

J’ai toujours rêvé d’être un homard

Film vu dans le cadre du 68ème festival de Cannes, critique à chaud en sortant de la salle ici.

En trois films, Yorgos Lanthimos est devenu l’un des cinéastes européens les plus intéressants de sa génération. Je ne vais pas vous en dire plus sur sa personne car je pense que l’article sur “Canine” fait par le brillant Alcide, vous donnera une idée sur l’univers dans lequel va vous mener The Lobster. Il est étrange, cru, malsain mais terriblement jouissif dans l’absurde comme en témoigne son pitch.

L’histoire se situe dans un futur proche où le couple est devenu la seule et unique norme sociale. Toute personne célibataire, passée un certain âge, est arrêtée puis transférée dans un hôtel. Une fois arrivée là-bas, elle a 45 jours pour trouver son âme sœur; passé ce délai, elle se transforme en l’animal de son choix. C’est dans ce contexte que l’on va suivre notre anti-héros, David, dans sa course contre la montre pour trouver une femme afin de ne pas être transformé en homard.

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Alors, non la photo n’est pas truquée et oui, c’est bien le ténébreux Colin Farrell dans la peau de cet improbable archétype du rond de cuir coincé à moustache

The Lobster confirme le talent du réalisateur grec pour créer des univers singuliers. Dans cet hôtel, les mises en situation propagandistes (retenez que le couple sert à tout et sans lui on devient fragile), les différentes épreuves, punitions (jamais je ne me serais douté qu’un grille-pain pouvait aussi être utilisé de cette façon) et tests quotidiens  apparaissent tous plus invraisemblables les uns que les autres. Les personnages vivent dans la retenue, un peu comme des enfants qui ne veulent pas faire de bêtises en public, dans l’attente d’une étincelle qui fera ressortir leur animalité. Et il n’est pas rare qu’ils soient accompagnés de leur frère, sœur, ami transformé en chien, chat ou encore Paon.

Pour autant, The Lobster ne contente pas de créer un microcosme, comme les précédents films du réalisateur, mais une véritable dystopie totalitaire (comme Bienvenue à Gattaca ou 1984).Comme dans tout bon modèle du genre, elle a aussi ses opposants, qui sont appelés les solitaires. En gros, et sans trop vous spoiler, on va dire qu’ils sont aussi extrémistes dans leur conception de la vie de l’homme, que celle de la société contre laquelle ils luttent.

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Dit de cette façon, on peut facilement penser que cela va être du grand n’importe quoi mais ce n’est pas le cas. L’univers est dressé avec une intelligence rare, rien n’est jamais introduit de façon gratuite et il nous apparaît de plus en plus cohérent et captivant au fur et à mesure qu’il se dévoile et s’étend. Après, le film n’est pas aussi complexe à comprendre comme  certains ont pu le penser, mais il brasse tellement de pistes de réflexion autour du couple et des régimes totalitaires, que chacun d’entre vous risque d’avoir sa propre interprétation du propos dressé par Lanthimos.

Bon, le scénario c’est du béton armé et le reste, me direz-vous ? Je reconnais que la mise en scène est assez déroutante car elle est assez froide, chirurgicale, composée de plans larges fixes et dotée d’un rythme assez lent. Mais, Lanthimos a su insuffler dans ses plans, soit un sens du décalage qui vous fera mourir de rire (une scène de chasse tournée au ralenti), soit une simplicité sincère qui rendra l’instant marquant et parfois magique.

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Comme vous pouvez le remarquer, la photographie est aussi sublime 

Coté casting, tous les acteurs sont exceptionnels, notamment une Léa Seydoux tyrannique en chef des solitaires, un John.C.Reilly incarnant un personnage pince sans rire jouissif, une Ariane Labed parfaite en femme de chambre aux fonctions assez particulières, une Rachel Weisz qui l’est tout autant dans un personnage aussi fort que fragile. Et, il y a Colin Farrell, crevant l’écran à chacune de ses apparitions, dans un personnage aussi ridicule qu’attachant, qui aurait pu aussi bien sortir d’un film de Spike Jonze que des Cohen. A tel point, qu’il était prévisible que ces derniers soient séduits par le film, et d’ailleurs ce fut le cas, car leur Jury lui a décerné un prix du jury amplement mérité et comment ne pas les comprendre.

The Lobster est une œuvre dense, aussi inventive que brillante. Et, même si les fans de la première heure de Lanthimos seront un poil déçus de retrouver certains effets et le même type de fin que ses précédents longs métrages, ce film vous séduira et restera longtemps gravé dans votre mémoire. Je ne sais pas trop quoi vous dire d’autre si ce n’est que : allez absolument le voir à sa sortie. Ce réalisateur grec a un style tellement à part et exceptionnel que la rédaction du grill est persuadée qu’il deviendra une référence pour des générations de cinéphiles, un peu comme l’est aujourd’hui un David Lynch.

The Lobster

  • Est
  • N'est pas
  • Malsain, inquiétant, cru, étrange mais terriblement jouissif et drôle
  • Incompréhensible, c’est juste que, chaque spectateur aura une perception différente du discours de Lanthimos
  • Brillamment interprété, notamment par Colin Farrell qui trouve ici son meilleur rôle
  • Sans la réutilisation de quelques effets qui étaient déjà présents dans les précédents films de Lanthimos
  • Doté d’un univers singulier aussi intriguant que captivant
  • Rythmé de manière rapide, mais plutôt lente
  • Mis en scène de façon froide et chirurgicale mais les plans sont tellement bien travaillés qu’on arrive à ressentir de l’émotion et le sens du décalage de Lanthimos
  • Un film que vous oublierez facilement mais plutôt qui vous incitera à jeter un œil à la filmographie de ce réalisateur atypique
Du très grand Lanthimos (retenez ce nom, vous allez en entendre parler souvent durant les 50 prochaines années) / 20