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Les déceptions du grill

The Revenant

Chasse, pêche et résurrection

La filmographie d’Iñárritu est traversée par l’idée de transcendance. De 21 grammes où le poids supposé de l’âme sert de fil conducteur à Birdman racontant l’ascension mystique d’un acteur déchu via son nouveau rôle, l’évolution d’un personnage d’Alejandro est tout autant spirituelle que concrète.

D’ailleurs pour être honnête, c’est vraiment avec Birdman que je suis rentré dans l’univers de ce cinéaste, ses autres films hors Amours Chiennes me semblant être issue d’un goulbi goulba dramatique inutilement blindé de symboles plus ou moins abscons. Mais Birdman cette baffe ! Outre le choix du (faux) plan-séquence en écho à la vie de son héros tourmenté et de toute l’effervescence de Broadway, la maîtrise de ce récit choral et la profondeur de certains dialogues sur ce système (celui sur la critique en tête) m’ont hanté longtemps après le générique. Malgré une fin un brin boiteuse, défaut que l’on retrouve dans The Revenant aussi, j’ai adoré tout ce qui a précédé, dommage que je ne puisse pas en dire autant de la cuvée 2016.

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La chasse aux bisons faisait l’objet d’une campagne anti-indiens à l’époque, du coup une image comme ça du trappeur devant cet amas de tête c’est une représentation de son désespoir face à l’extermination d’un peuple.

En surface pourtant, The Revenant a tout du chef-d’œuvre : son casting plus que solide (pour faire simple le gentil c’est DiCaprio, le méchant c’est Tom Hardy), son sujet épique à souhait et son tournage de l’extrême uniquement en décors réels et en lumière naturelle (mobilisant l’équipe 9 mois, faisant louper à Tom Hardy le tournage de suicide Squad et ne laissant parfois qu’une heure ou deux pour filmer dans les conditions voulues par Alejandro). L’image est superbe. On y retrouve l’amour d’Iñárritu pour les steady cam (c’est-à-dire la caméra mobile qui suit et tourne autour des personnages) et les grands angles pour magnifier la nature enneigée, personnage à part entière. Du crépitement d’un feu de camps au confort d’une peau de bête, tout est fait pour nous faire ressentir l’ouest sauvage, nous immerger dans ce monde beau et violent. La gestion de la lumière, la profondeur de certains plans, le parti pris ultra-réaliste où chaque blessure est douloureuse à regarder, rien ne manque… par contre le scénario c’est Beyrouth.

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Le grand angle à la Iñárritu c’est aussi l’intégration de ces perspectives complètement folles. Rien à dire, la réal c’est à la fois des idées, de la technique et une sacré claque.

 On récapitule, The Revenant est l’adaptation d’un roman du même nom sorti en 2002 (et les droits ont été acheté en 2001, j’adore la logique Hollywoodienne) narrant l’histoire vraie du trappeur Hugh Glass qui, laissé pour mort par ses compagnons, a rejoint leur campement à 300 km de là en bravant le froid, la neige, les indiens et les français (oui, oui) pendant six semaines ; ceci en étant motivé par l’idée d’aller tuer un de ses anciens camarades.

A la base je pensais avoir affaire à une sorte de conte de Monte Christo façon western, au final il n’en est rien, toute la finesse des dialogues de Birdman -> poubelle, le développement des personnages aussi, DiCaprio ne poussera que quelques grognements et s’il y a une véritable prouesse d’acteur à nous montrer combien il souffre et enrage d’avoir été abandonné dans la neige, il ne fait que ça pendant 90 minutes. Le seul personnage véritablement intéressant est celui de Tom Hardy, athée convaincu au caractère trouble et manipulateur faisant tout pour survivre. Miroir d’Hugues qui délaisse le monde des hommes, a embrassé la cause des indiens et n’est véritablement à l’aise que dans la nature. Le problème est qu’Iñárritu fait le choix de nous montrer ce développement par des flash-backs et des séquences oniriques où DiCaprio voit sa femme apparaître en flottant, où il hallucine une église brulée et une image du Christ (dans un plan piqué à Tarkowski d’ailleurs) mais tout tombe à plat face aux événements et prend une tournure presque pompière. Déjà la renaissance de DiCaprio, il y en a à peu près une toutes les demi-heures (dans le désordre : quand il a son accident, quand on il sort d’une tombe, quand il sort la tête de l’eau, quand il sort la tête d’une tente, etc) et sa quête est complètement pratique : il veut buter un type et il a d’excellente raison pour le faire. Rien de mystique ou quoi que ce soit, les deux hommes que tout oppose ne se livrent pas un duel sur leurs convictions mais purement à cause d’une vengeance stérile au possible. Quelle leçon à retenir de tout ça ? Ou est la morale dans œil pour œil, dents pour dents ?

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Hugh Glass c’est un peu le croisement entre Chuck Norris et… euh… Chuck Norris.

Et les indiens, on en parle des indiens ? Les Arikaras (évolue en Arikaraté au lvl 30), on le comprend rapidement, cherchent la fille de leur chef qui a été kidnappé. Du coup ils poursuivent DiCaprio, un mec seul à moitié mort dont ils savent – puisqu’ils ont torturé et tué ses compagnons – qu’il n’a rien à voir avec la disparue. Et le pire c’est qu’ils doivent avoir le même détecteur de personnage principal que dans Indiana Jones 4 car ils le retrouvent assez souvent sur un territoire qui est censé faire 300km. En fait c’est assez simple, à chaque fois qu’il ne se passe rien, ils arrivent comme une fleur et s’ils sont des vrais ninjas dans la scène d’ouverture qui n’a rien à envier niveau tension à Il faut sauver le soldat Ryan, faut l’admettre, ils sont incapables de représenter une quelconque menace par la suite.

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Dur de dire autant de mal d’un film aussi splendide, mais un autre de ses défauts est que l’histoire est censée s’étaler sur 6 semaines dans la réalité, dans le film j’ai eu l’impression que cela ne durait que quelques jours.

Pour faire simple The Revenant est incroyablement beau et incroyablement lourd, à l’image de sa nature superbe où l’on va nous incruster numériquement tout une faune et une flore à la Discovery Chanel. Le film veut trop en faire et m’a rapidement sorti de son univers, c’est bien fait, ce n’est pas inintéressant mais dès que l’on voit DiCaprio « renaître » pour la troisième ou quatrième fois, j’ai ressenti une certaine lassitude, presque criminelle pour un projet aussi ambitieux.

The Revenant

  • Est
  • N'est pas
  • Un très beau film du point de vue de l’image, à déguster sur le plus grand écran que possible avec un son parfait
  • Le meilleur rôle de DiCaprio, je ne dis pas qu’il n’a pas mérité quinze fois son oscar pour autant ni qu’il est possédé par son personnage, mais le registre du grognement rageur pendant 2h est vite redondant
  • À saluer pour le parti pris de ne tourner que dans la nature et en lumière naturelle
  • Aussi bon que Birdman qui avait un scénario en béton et des dialogues jouissifs
  • Pas forcément crédible dans son déroulement
  • Un Western « classique » même s’il en reprend plus de code que les 8 salopards
  • Lourd, limite prétentieux dans son propos qui tourne assez vite en rond
  • Totalement convaincant avec tous ses animaux numériques plus vrais que nature
Le Western a son Gravity... Moarf / 20