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Le Grill a aimé avec réserves

Battle Royale

Battle Royale :

Réalisation : Kinji Fukasaku, d’après le roman de Koushun Takami.

[L’article a été publié en 2014, autant dire que j’ai eu le temps de le retailler]

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Vous êtes sur cette page pour plusieurs raisons : soit vous avez vu Battle Royale ou vous comptez le voir, ce qui se conçoit aisément, soit vous êtes fan de catch mais restez quand même, soit vous trouvez qu’Hunger Games c’est vachement original et vous vous êtes faits insulter sur plusieurs générations (3% de chance environ que ce soit moi qui ai laissé un tel avis, quel que soit le site) et vous avez décidé de vous renseigner entre deux parties de Fortnite ! Félicitation, lecteur qui a délaissé Wikipédia pour nos colonnes, tu es au bon endroit.

Battle Royale est en premier lieu un succès littéraire, commercial et critique, sorti en 1999 au Japon, ce qui a conduit à son adaptation en film et en manga dans les mois qui suivirent, business is business. Le film a tout d’abord bénéficié d’une sortie discrète en France en 2001 avant de bénéficier d’un excellent bouche à oreille. Pour surfer sur la popularité du long métrage, le manga est sorti en 2003 chez l’éditeur Soleilpauis le livre a finalement été traduit  puis édité par Calmann-Lévy en 2006. Mieux vaut tard que jamais.

Jeu de massacre

Avant toute chose j’aimerais m’attarder sur le fait que Battle Royale fait partie d’une catégorie assez particulière de scénarios, qui partagent tous de nombreux points communs. Je vais les appeler les jeux de massacre :

[MàJ : aujourd’hui, le “Battle royale” est le type de jeu vidéo le plus populaire, un nom en hommage au film où des dizaines de joueurs s’affrontent avec les armes qu’ils trouvent sur un terrain qui rétrécit au fil de la partie pour un seul gagnant au final. A l’époque j’avais nommé cette catégorie “jeu de massacre” mais au final Battle Royale est devenu un genre en lui même, dans un autre média.] 

Premièrement l’action se déroule dans un espace clos, une île, un bâtiment, une arène dont les personnages ne peuvent s’échapper et dans laquelle ils ont été placés contre leur volonté, en général par l’antagoniste principal.

Et deuxièmement, la présence de règles imposées par la personne qui les a coupés du monde et qui va pousser les protagonistes à interagir entre eux de façon plus ou moins violente pour pouvoir s’en sortir.

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Donc sans aller jusqu’au huis clos, on est dans un espace fermé ou les personnages sont retenus contre leur volonté et la survie d’un protagoniste implique la mort de tous les autres. C’est un point de départ que l’on retrouve dans énormément de scénarios avec plus ou moins de variations à tel point que l’on peut présenter ça à la manière d’un jeu des sept familles.

D’abord la mémé anglaise adorable qui a pour seul défaut de mettre du cyanure dans ses cupcakes : Les dix petits nègres par Agatha Christie. Publié en 1939 et devenu depuis le roman policier le plus vendu de tous les temps. Cette grosse nouvelle est pour moi le prototype du jeu de massacre, dix inconnus sont réunis sur une île et vont peu à peu se faire tuer suivant l’ordre d’une comptine ce qui va les monter les uns contre les autres. Le texte demeure un des meilleurs policiers jamais écrit qui a connu des dizaines d’adaptations qui vont du sous Hitchcock  (dix petits indiens, 1945) à des trucs juste hors sujet (Identity, 2003). La seule transposition valable à ma connaissance c’est l’adaptation en BD qui retransmet assez bien l’esprit du livre.

Le pépé qui aime bien les jeunes garçons : Sa majesté des mouches de William Golding publié en 1954 qui raconte comment des enfants échoués sur une île déserte vont peu à peu devenir violents et cruels entre eux d’abord pour survivre puis presque par jeu. L’adaptation au cinéma par Peter Brook vaut le coup malgré un final différent du livre mais amenant avec génie à une belle réflexion sur la violence non plus du point de vue du groupe mais de la civilisation. Bien qu’ici rien n’oblige les enfants, innocents à la base, à se battre le livre décrit à quel point une personne livrée à elle-même peut se montrer perverse et cruelle si la situation l’exige. L’auteur de Battle Royale a dit en interview qu’il a conçu son roman comme un sort de réactualisation de sa majesté des mouches en insistant sur le fait que des camarades de classe à peine sortis de l’enfance se retrouvent contraints de s’entretuer.

Le père, fils prodigue qui a malheureusement fait un gros câlin à un bus en passant à la case cinéma : Runing Man de Richard Bachman (aka Stephen King). Le roman présente une dystopie futuriste où un homme participe à un jeu télé lors duquel il doit survivre en étant poursuivi par des tueurs plébiscités par le public. Battle royale est peut être plus proche d’un autre roman du King moins connu mais très intéressant : Marche ou Crève. Les droits de ce dernier ont d’ailleurs été acquis par Franck Darabont , MONSIEUR « Les évadés » (1994, film Culte), qui a aussi réalisé La ligne verte (ouais !) et The mist (mouais) dans ses adaptaions de King. Dans ces deux romans se détache l’idée d’un jeu morbide sponsorisé par le gouvernement pour asseoir son influence, ces jeux absurdes font partie de la vie de tous les jours et sont une critique déjà assez virulente des dérives de la télé réalité et des mass média.

[Franck Darabont n’a pas pu concrétiser ce projet et a perdu les droits d’adaptation, New Line aurait récupéré l’idée et un script aurait été commandé à James Vanderbilt, responsable du Zodiac de Fincher mais aussi de The Amazing Spiderment et de Independance Day Resurgence…]

La maman ex soixante huitarde tellement réac qu’elle en devient parfois chiante : Le film Punishment Park de Peter Watkins où des opposants au gouvernement des Etats Unis sont forcés de marcher dans le désert poursuivis par des forces d’autodéfense à la gâchette facile. Presque un documenteur en forme de bad-trip de la beat génération.

 

II Battle Royale vs Hunger Games

Enfin Battle Royale, le jeune premier qui traite le sujet avec une approche explosive et sans concession en allant bien au-delà de sa violence initiale pour apporter un vrai message. Oui car le film est considéré comme ultra violent et a été vendu en occident comme un film d’horreur, probablement pour attirer le public de The Ring sorti trois ans plus tôt, alors qu’au Japon il est plutôt considéré comme un film d’anticipation. Mais surtout il aborde les thèmes du passage à l’âge adulte, de la remise en question des gouvernements jusqu’à ce que se pose la question de la légitimité de la violence, de l’obéissance aveugle à la loi ; la cruauté de l’homme poussé à bout mais surtout se pose en vive critique de la société japonaise et du système éducatif où le taux de suicide est un des plus forts au monde, où l’individu en lui-même est négligé de manière aussi systématique que cruelle face au groupe. Et ceci dans un scénario dont la cohérence et la maîtrise du rythme force le respect.

Dans un japon uchronique se tient chaque année le programme dont la définition dans le bouquin est glaçante :

5751 24 large«Depuis 1947, simulation de combat exécutée à des fins de défense nationale par les forces terrestres d’intervention rapide de notre Nation. (Nom officiel : “Expérimentation militaire du Programme n° 68”.) Chaque année, cinquante classes de troisième choisies au hasard parmi l’ensemble des collèges du pays y participent. Le déroulement de l’expérience est très simple en lui-même : laisser se battre entre eux les élèves d’une classe jusqu’à ce qu’il ne reste qu’un seul survivant, l’objectif étant de recueillir diverses données statistiques sur le temps mis par le champion à exterminer le reste de la classe ; le Programme constitue à ce titre un élément essentiel de notre souveraineté nationale et de la politique de défense de notre pays. Le survivant de chaque classe gagne le droit de vivre aux frais de l’État jusqu’à sa mort, ainsi qu’un autographe authentique de la main de Sa Grandeur le Reichsführer en personne. »

Je pense que l’auteur sous-entend que le Japon aurait gardé son alliance avec les nazis lors de la WWII et se serait ensuite fermé un peu comme une Corée du Nord national socialiste. De plus il est à plusieurs reprises remis en cause l’existence du Reichsführer comme s’il était une sorte de Big Brother façon 1984. Donc le roman débute lorsque les 42 élèves de la classe de 3eme B de la préfecture de Shiroiwa se réveillent après avoir été drogués lors de leur voyage scolaire dans une salle de classe sur une île gardée par l’armée. C’est dans cette situation fort réjouissante qu’apparait leur « professeur » remplaçant, un fonctionnaire crapuleux dans le roman et un de leur prof mal aimé en pleine crise existentielle dans le film qui leur explique les règles du jeu, en bute deux et leur refile à chacun un sac contenant des provisions, une carte de l’île et une arme différente pour chacun, du boomerang estampillé picsou magazine a la mitraillette de Scarface. Lâché sur l’île on va suivre le parcours de chacun des élèves en étant principalement focalisé sur trois personnages, Shuya qui est grosso modo le héros, Noriko une fille amoureuse de lui, et Shogo Kawada un des deux élèves volontaires pour « jouer » qui avait déjà participé au programme l’année précédente.

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Pour les obliger à s’entretuer ils ont tous autour du cou un collier rempli d’explosifs qui les transforme en steak tartare s’ils quittent la zone de jeu, de plus l’île est divisée en secteurs qui deviennent des zones interdites au fur et à mesure de la partie dans lesquelles les colliers explosent forçant les survivants à se s’affronter.

Si je continue mon jeu des sept familles le lecteur éveillé se doute de qui sera la petite dernière tout juste arrivée qu’elle est déjà une pimbêche de première, et oui le phénomène aux trois bouquins et quatre films destiné aux jeunes rebelles qui ont (enfin) arrêté de triper sur les alpaga-garous et toujours trop jeunes pour acheter 50 shades of grey : Hunger Games.

Vous aurez vite compris où je veux en venir, après j’ai fait cet historique pour montrer que les jeux de massacre existent depuis longtemps en littérature comme au cinéma, Battle royale n’a rien inventé, mais là où ça me dérange c’est que je trouve que Hunger Games utilise vraiment trop d’éléments communs au point de devenir à mes yeux un remake US sauce Disney chanel du bouquin et du film.

Par exemple la phrase « un orphelin est l’élu d’une prophétie qui va rétablir la paix dans le monde en combattant une Némésis à laquelle il est relié de différentes manières »  ça pourrait s’appliquer aussi bien à Harry Potter, Matrix, Star Wars ainsi qu’a la moitié de la fantasy moderne. Non ce qui me gêne c’est qu’au-delà de ça Hunger Games utilise vraiment les mêmes éléments narratifs :

Le tirage au sort/le gouvernement totalitaire/le coté jeu télé et outil politique/les armes aléatoires/le fonctionnaire qui ne pense qu’à sa carrière/la surveillance en dehors du jeu et les pressions sur les familles/l’existence d’une classe supérieure/ les habitants sous surveillance…

En gros prenez Battle Royale, virez tout le coté contestataire et pertes de valeurs de la société pour remplacer ça par un concours de mode qui prend un quart de chaque bouquin acompagné d’un triangle amoureux d’une intensité qui rappelle les heures sombres des vampires scintillants. Rajoutez-y une héroïne pseudo badass qui passe deux tomes et demi à être dépassée par les événements pour être sauvée par des types qui sont pourtant désignés comme des antagonistes à la base et vous avez cette espèce de pot pourri de tout ce qui s’est fait de plus populaire depuis les années 2000 réuni pour y être servi prémâché. Ce n’est pas que je n’ai pas aimé cette série, même si je me suis fait violence pour finir le tome 3, c’est juste que je la trouve très médiocre dans la forme et les idées vues et revues. Le seul truc qui m’a plu c’est le tome 2 avec son île divisée en zones piégées qui s’activent les unes après les autres, comme dans Battle Royale en fait… Avant de me prendre le fan club de Jennifer Laurence sur le coin de la tronche je tiens à dire que si vous aimez cette actrice regardez plutôt American Bluff, là elle est géniale.

(Mention honorable : La chasse du conte Zaroff, Saw 1, Rollerball, Mad Max 3, Escape from New york/Los Angeles, Le Prix du danger)

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III Le premier film du XXIème siècle

Battle Royale le film est donc une œuvre de commande pour laquelle le producteur a imposé un acteur de drama populaire dans le rôle du Shuya et pour lequel la bande-son a été composée en une semaine, le tout avec un budget autour de 4 millions 5 soit 17 fois moins que Hunger Games (bon ok, j’arrête). Le résultat ? Un des films les plus marquants de ces vingt dernières années et une œuvre majeure qui a influencé des dizaines de créatifs, Tarantino par exemple va dédier Kill Bill volume 1 au réalisateur de Battle Royal mort pendant le tournage du 2 et il embauchera l’actrice Chiaki Kuriyama pour le personnage de Gogo Yubari (la loli avec la masse d’arme), de plus dans Django Unchained la scène où le KKK passe à l’attaque est accompagnée du requiem de Verdi, la musique d’introducion de Battle Royale.

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Adorable, elle me rappelle une ex en moins flippante

Le film réalisé par Kinji Fukasaku corrige donc tous les défauts du roman et surtout modifie énormément le personnage du professeur supervisant l’île, ici appelé Kitano joué par le géant du cinéma asiat Takeshi Kitano qui à lui seul résume tous les enjeux du film, c’est un père de famille que sa fille déteste, prof de la classe concernée par le jeu où les élèves sèchent impunément ses cours et vont même jusqu’à l’agresser au couteau, qui complétement cynique et dépressif se retrouve à organiser ce jeu de massacre qui condamne ses élèves dont Noriko, la seule à jamais lui avoir montré de l’affection alors sacrifiée dans ce programme. La réécriture de ces deux personnages donne un ton mélancolique à leur relation inexistante dans le roman jusqu’à un climax vraiment marquant servi par un morceau magistral (pour ceux qui ont vu le film : https://www.youtube.com/watch?v=u–chbYl4d8).

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Sur la version Blu-ray avec le contraste au maximum on voit une fine aura de classe pure émaner de Kitano en jogging.

 Le film est aussi doté d’un humour noir beaucoup plus marqué que dans le roman, et je sais qu’il divise beaucoup, principalement à cause de certains clichés du cinéma asiatique comme la chorégraphie des morts directement empruntée aux combats de samurai de Kurosawa et les giclées de sang surréaliste visant à donner un côté plus esthétique à cette violence. Ce côté Kitsch de certaines morts est là pour en atténuer l’impact, le film présente un contexte aussi réaliste que cohérent et l’utilisation de l’ultra violence gore contrebalance donc cette ambiance anxiogène en permettant d’y amener un peu d’action. Une autre modification majeure à mon sens est l’introduction des deux volontaires qui correspondent aux personnages de Kiriyama et de Shogo Kawada. Le premier est un psychopathe quasiment muet ramené au seul rôle de machine à tuer dans le long métrage sans aucun développement de son personnage, ce n’est pas plus mal puisque l’on aboutit notamment à des scènes d’action hystérique malheureusement parfois à la limite du ridicule.

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Shogo est lui présenté comme le survivant d’un programme précédant qui tient à « rejouer » pour comprendre les motivations de sa copine contre qui il s’est retrouvé, il raconte plusieurs versions de son passé ce qui laisse un gros doute sur ses vraies motivations et ce qui permet surtout d’éviter ce qui selon moi est la plus grosse incohérence du bouquin.

SPOIL Je veux dire il n’y a pas de volontaire, Shogo est un des 42 éléves de la classe, on apprend qu’il a piraté le système informatique du gouvernement afin de savoir comment enlever les colliers explosifs. Il fait ça après avoir survécu et avant le deuxième jeu ceci afin de pouvoir refaire une partie afin de lutter contre le gouvernement mais dans ce cas ça voudrait dire qu’il savait qu’il allait revenir dans le programme ou qu’il a fait en sorte que sa classe y participe un peu comme la fille de Kitano dans le Battle Royale 2. Donc ce serait potentiellement un salopard qui condamne tous ses petits camarades à mort. FIN DU SPOIL

Anecdote (pour faire bien en société) : Enfin le réalisateur fait un gros clin d’œil à une série télé anglaise (à voir absolument pour les deux derniers épisodes faits sous acide) : le Prisonnier, qui se passe aussi sur une île sur laquelle un organisme détient contre leur gré des anciens espions tous nommés par un numéro. Les annonces des éléves morts appelés par leur numéro au travers des hauts parleurs disséminés sur tout le terrain de l’île sont précédés par le morceau “La marche de Radetzky” qui est entendu plusieurs fois dans la série.

 

(Pour le manga, il a été initialement été publié de 2000 à 2005 sur 15 tomes et propose sa vision over the top de l’oeuvre qui a su trouver son public. Il est plutôt bon avec un dessin soigné mais sa vision baroque et caricaturale des personnages rend le tout parfois grotesque. Les méchants ont des têtes de méchant et sont très méchants alors que les gentils sont très (trop) gentils. Le rythme y est soutenu malgré un dernier tome assez décevant, il fait honneur à sa réputation sulfureuse avec des scènes vraiment trash en plus d’un coté sexy pas présent dans le film qui contre-indique son utilisation comme cadeau de noël pour votre cousine de 8 ans, mais il mérite le coup d’œil car il conserve le mérite de proposer sa vision du matériau d’origine, mais le bouquin reste à mon sens meilleur. Un pavé certes mais qui si dévore.)