Touché en plein cœur.
Denis Villeneuve a tout explosé d’Incendies à Sicario avec Enemy au milieu, mon petit préféré, mais Villeneuve est aussi l’homme à abattre dans un coin de mon crâne depuis qu’il s’est attelé à la suite de Blade Runner. Ce n’est pas que je ne l’aime pas, bien au contraire, mais il y a des choses qui ne se font pas. Autant dire que son premier contact avec le genre de la science-fiction était attendue façon baptême du feu.
La scène de “découverte” du vaisseau a juste demandé un drone et un peu de la magie du compositeur Jóhann Jóhannsson, travaillant avec Villeneuve depuis Prisoners, mais elle m’a foutu la chair de poule.
Film de SF pur et dur avec une prémisse qui m’a rappelé le premier K.Dick (les fils d’Icare où une arrivée alien désamorce la guerre froide) bien qu’il soit l’adaptation d’un roman court appelé « l’histoire de ta vie » – voilà vous savez pourquoi on a préféré l’appeler Premier Contact ou Arrival – est sans doute ce qui est arrivé de mieux au genre cette année.
Son scénario d’apparence simple s’étend petit à petit pour former un tout parfaitement cohérent, glissant d’un registre à l’autre à peu près tous les quarts d’heure pour nous tenir en haleine vers la découverte de l’épais mystère derrière les monolithes noirs (encore !) apparus du jour au lendemain aux quatre coins du globe.
Du gris, du noir, du rouge, du vert à l’extérieur, la sobriété dépouillée de la photographie conjuguée à la mise en scène impressionne par sa maîtrise. Niveau réalisation, je pense qu’on est devant le film de l’année.
L’humain contre l’alien est des postulats que l’on écarte, ici c’est comprendre l’autre qui nous intéresse, l’inconnu d’outre espace puis les inconnus d’en face. Point de planète laser à faire sauter mais une évolution de l’humanité à amorcer, c’est ce genre de rupture de paradigme grandiose que le film tient à nous faire vivre et c’est une vision vertigineuse de quelque chose qui dépasse l’humanité dans son ensemble que je viens chercher, souvent en vain, dans la science-fiction. Intelligent, bien construit, réalisé avec une précision chirurgicale jamais froide par des scènes où le film prend le temps de respirer avec ses personnages, Premier Contact est avant tout élégant plus que percutant. Merci.
Les producteurs de Stranger Things et un des artistes de l’équipe artistique de Prometheus, Villeneuve a su bien s’entourer.
A cela on ajoute la prestation d’Amy Adams décidément bien meilleure avec un cerveau qu’en Lois Lane, un Jeremy Renner incroyablement crédible en mathématicien (comme quoi une fois le costume en spandex violet enlevé) accompagné d’un Forest Whitaker plus anecdotique qui commence à piquer les rôles que Morgan Freeman aurait joué il y a une décennie et on obtient un casting ultra solide que l’on prend un plaisir monstre à suivre dans leur défrichage de l’inconnu.
Premier Contact est une merveille, son seul défaut est que sa cohérence parfaite n’en fait pas un entêtant mystère à la 2001 ni même une petite énigme à la Inception mais un bijou d’écriture où tout est expliqué pour peu qu’on le comprenne. Tout ça, pour dire que je ne pensais pas que deux heures à filmer un gros caillou au milieu d’un champ avec un photographie bleu-gris pour y voir se dérouler un cours de linguistique allait me faire vibrer comme jamais.
Si toi aussi t’attend Blade Runner 2 tape dans tes mains, clap clap, si toi aussi t’attends Blade Runner 2 tape dans tes mains ♪
SPOILER Le film expliqué SPOILER
Les extraterrestres ont une perception différente du temps : présent et futur sont vécus simultanément, le temps leur apparaît donc comme une boucle qui se répète (comme par exemple pour le dr Manhattan de Watchmen), c’est comme s’ils arrivaient à se “rappeler” du futur comme on peut se rappeler du passé. Pour faire plus simple, comprendre le langage alien permet de prédire l’avenir. Ils viennent sur terre offrir une méthode aux humains pour obtenir la même capacité, cela revient à apprendre leur langage divisé en douze tableaux (un par vaisseaux) obligeant donc les douze nations hôtes à coopérer puisque l’ensemble des informations est nécessaire. A priori les aliens font ça car cela permettra à l’humanité de les aider dans 3000 ans, autant dire qu’ils prévoient à long terme. La première à maîtriser ça (partiellement puisqu’elle n’a que 1/12ème du pouvoir a priori) est Amy Adams qui se voit donc capable d’arrêter l’attaque de la Chine contre les aliens via des informations que va lui donner le général Shang dans le futur (on retombe sur des problématiques du voyage dans le temps, ici celle des situations autoréalisatrices, sujet passionnant mais j’ai la flemme d’en faire 20 pages).
Du coup Amy Adams perçoit elle aussi le temps comme un cycle et le film est construit sur ce modèle-là, c’est pour cela qu’il commence par la mort de sa fille qui est l’élément le plus éloigné dans le futur de l’arrivée des vaisseaux spatiaux. Chronologiquement Amy Adams rencontre les extraterrestres, décrypte leur langage, met fin au début du conflit mondial, a une fille avec Jeremy Renner, sa fille meurt. Le film réarrange tout ça en collant la fin et le début afin de correspondre au mode de pensée de son héroïne et de nous piéger. Perso j’ai pensé à Solaris ou la forme de vie alien va influer sur le mode de pensée des astronautes venus l’étudier. Bref, que du bon.
Ce sens du symbole mérite un cookie ou un oscar, au choix.