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Festival de CannesLe Grill a aimé

Faute d’amour

Manque d’amour, pas de charmes

Faute d’amour aura beau durer plus de deux heures, en russe, avec pour dix premières minutes une succession de gros plans sur une mare à canards, il demeure le film qui m’a le plus hanté depuis le festival de Cannes où il est reparti avec le prix du jury.

On avait entendu parler du réalisateur avec Leviathan, combat ordinaire d’un homme contre son expropriation par un maire corrompu avec un traitement que n’auraient pas renié les frères Coen. Ironie mordante, humour noir et “gueules” se succédaient sur cette scène qu’est la Russie actuelle pour en dresser un savoureux portrait goût vitriol en capitalisme frelaté et relation intoxiquée. Faute d’amour c’est pareil sauf qu’il trouve aussi le moyen de te mettre à terre et de t’y laisser chouiner en position fœtale.

On est loin de la beauté plastique de Léviathan pour l’affiche, pour info le gamin est sur un arbre mort dans une mare mais la première fois que je l’ai vu j’ai cru avoir mal à mes perspectives.

Papa ours veut refaire sa vie avec sa maîtresse, bien plus jeune que lui et enceinte jusqu’au cou, maman veut aller habiter chez son riche amant un peu plus vieux, histoire de souffler sa trentième bougie sous un meilleur toit. Le patron de papa est si croyant qu’il renvoie les employés divorcés, maman est esthéticienne et ne voit aucun inconvénient à faire un meilleur mariage, au milieu de tout ca leur fils de douze ans, l’encombrant qui n’a pas sa place dans leurs nouvelles vies. L’erreur de jeunesse va finir par fuguer pour se sauver de cet enfer quotidien. S’ensuit un récit qui te fusille, présentant des caractères fouillés dont on ne peut qu’être empathique à travers des longues séquences sur l’amour qu’ils ont l’un et l’autre pour leurs nouveaux compagnons. Le tout dans une population obsédée par l’image de soi, au boulot ou sur instagram, branchée à la radio annonçant la fin du monde pour 2012.

Je serai incapable de citer un seul acteur russe ayant percé à Hollywood, ce serait l’exception à une étanchéité encore bien présente entre deux visions du cinéma.

Faute d’amour filme un serpent qui se mord la queue, l‘amère comédie des rapports humains, aux autres et à soi, qui finit toujours par se répéter. “Comment je fais moi et moi seul pour être heureux”. L’enfant, dégât collatéral d’une relation gangrenée, permet le récit d’une amputation dans la douleur, sans catharsis, sans rédemption pour ses personnages enfoncés dans un cycle qui n’en finit plus. Leur histoire aurait pu être celle de leurs voisins ou d’un collègue dans un des appartements similaire au leur, et pourtant malgré tout ça ses personnages ne sont pas fondamentalement mauvais, ils sont simplement le reflet, à la loupe, d’un système révoltant mais tellement quotidien. Renforçant d’autant plus l’universalité du propos, leurs comportements qui font ici tellement de mal sont une accumulation de petites inimitiés qui ne nous sont pas forcément toutes étrangères.

Le titre un peu niais pourrait faire penser à un roman à succès français mais il n’en est rien, Faute d’amour est et reste ma palme d’or 2017, un diamant noir d’une intelligence redoutable.

Le film qui prend un peu trop son temps parfois, cache sa contestation dans l’inaction d’un policier, les méthodes militaires de l’association de recherche faite de bénévoles (dont la création qui a inspiré le film),  l’inertie de son acteur principal entre le bon père de famille et l’ogre et la réponse pas moins acide de sa moitié façon aimant cassé, opposée en tout. Un chef-d’œuvre dur, qui sait ouvrir la plaie de la violence morale au quotidien. Souvent cynique, désespéré, intelligent plutôt que radical, avant tout profondément réaliste, ce qui le rend aussi grand que terrifiant.

Faute d’amour

  • Est
  • N'est pas
  • Un portrait terrifiant car réaliste des rapports humains
  • Un film russe de deux heures, on va pas se mentir, on aimerait parfois que ça avance plus vite
  • Une mise en scène marquante par moments
  • Moins dans l'humour noir que Leviathan, même s'il pointe son nez
  • Un goût pour les plans symboliques qui n'altère pas l'ancrage dans la réalité
  • Un grand moment de détente, il est à rangé entre une boîte de lexomil et un livre de Cioran
  • Porté par une galerie de personnages sans fausses notes
  • Un film à manquer, son succès critique est mérité
L'espoir, la joie, les papillons, c'est pas ici. / 20