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AnimationL'Étrange FestivalLe Grill a aimé avec réserves

Mutafukaz

West Coast à la française

 

Mutafukaz est un roman graphique français format pavé – pas loin de 600 pages pour l’intégrale –  de Guillaume “Run” Renard qui n’hésite pas au détour de chaque page de parodier, référencer, citer, innover et touiller tout un bouillon de pop culture collé sur une trame narrative tout aussi éclectique. On y retrouve du complot mondial extraterrestre, des branleurs sympathiques, des pouvoirs spéciaux, des plans foireux, une poignée de prophètes luchadors, des ninjas expatriés, bref, de tout ce qui aurait pu se trouver sur les posters d’une chambre d’ados à l’orée des années 2000, ce temps où l’on pouvait porter une chemise avec des flammes et des dragons puis écouter l’école du micro d’argent sur un mp3 à pile.

L’image fourmille de détails, la quantité de références plus ou moins subtiles n’a pas à rougir face à un Ready Player One.

Le passage sur grand écran coulait de source. Rien d’étonnant qu’Ankama animation (créateurs des séries Wakfu et Dofus, adaptation d’un jeux vidéo) s’y colle puisque Ankama édition avait publié la version papier. Ils seront aidés par le studio japonais 4°C, ce qui est plutôt une bonne nouvelle (on citera Seconde renaissance des Animatrix pour mettre tout le monde d’accord), ce studio proposant souvent des styles graphiques marqués dans leur production (Amer béton surtout, ils ont aussi participé à Psiconautas) et Mutafukaz, malgré son ambiance californienne désabusée, ne cache pas ses influences nippones. Du coup on ne sera pas étonné que le rendu soit plus que propre : les mouvements sont fluides, les décors fouillés avec un sens du détail qui force le respect et c’est du vrai dessin-animé « à l’ancienne » qui ne s’essaye pas à de douteuses incrustations en cel-shading, un petit blur pour mettre du dynamisme tout au plus (les films Berserk du studio 4°C ayant d’ailleurs causé une micro polémique avec leur trop plein de synthèse et ont été redessiné en partie car… bon… c’était fort laid).

Les personnages épousent les poncifs de leurs genres respectifs… sans avoir malheureusement le temps de s’en détacher.

Reste que Mutafukaz est à l’origine un pur roman graphique pensé pour repousser ce que son média avait à offrir. L’œuvre osait tout, expérimentait beaucoup d’un point de vue narratif et formel. Le dégraissage du mammouth pour condenser tout ça en 90 minutes a gardé du très bon comme des bas morceaux, pas aidé d’ailleurs par les voix d’Orelsan et Gringe qui, malgré un bon capital sympathie, donnent parfois l’impression d’écouter un cousin  amateur du Donjon de Naheulbeuk. Ainsi l’intrigue foisonnante qui a toujours revendiqué haut et fort son côté Akira sauce Bad Boys en sort condensée, focalisée sur la course en avant de ses héros Vinz et Angelino. On fait le choix nécessaire d’amputer des personnages secondaires pour garder un récit fluide mais l’on perd en épaisseur au passage, la ville de Dark Meat City n’a pas le panache gangsta de son homologue papier malgré quelques plans atmosphériques bien sentis, de même des personnages clichés utilisés à contre emploi ou juste bien développé dans la BD sont ici réduits à de simples gimmicks.

Une série comme Lastman qui serait comparable en terme de fantasy urbaine référencée (ouais, c’est spécifique comme genre) avec ses un peu plus de 4h a le temps de faire les choses là où le film Mutafukaz semble prêt à exploser comme une valise trop petite pour tout ce qu’on a voulu y faire entrer.

En résumé Mutafukaz a d’indéniables qualités, esthétiques, narratives, et prouve – s’il le fallait encore – que l’animation pour adultes est un exercice maîtrisé dans l’hexagone, mais à trop vouloir en faire, il ne prend pas le temps de travailler ses qualités et offre un spectacle divertissant mais qui manque d’impertinence. Un peu à la façon de Revengeance de Bill Plympton, cette parodie d’une Amérique de série télé est trop  convenue dans son exubérance que pour réellement marquer.

J’espérais quelque chose de bien en entrant dans la salle et j’ai effectivement eu ce que j’étais venu chercher, ni plus, ni moins.

 

Mutafukaz

  • Est
  • N'est pas
  • Un film d'animation soigné et détaillé
  • Aussi expérimental que la version papier
  • Un délire visuel entre street art et animation jap
  • Passé au grand écran sans sacrifices niveau scénario
  • Bourré d'un humour potache mais plaisant
  • Très bien doublé, même si le cœur y est
  • Débordant d'idées, un peu trop même
  • Meilleur que ce qui s'est fait depuis la sortie initiale de la BD
Presque un coup de coeur / 20